Par Michael Swan et Yone Simidzu, pour Développement et Paix – Caritas Canada
Développement et Paix – Caritas Canada est engagé depuis des décennies au Brésil. Notre soutien a aidé nos partenaires à soutenir, autonomiser et accompagner de nombreuses communautés autochtones, en particulier dans la région de l’Amazonie, qui luttent pour faire valoir leurs droits à la terre, aux moyens de subsistance et à un environnement sain.
Pour aider la population canadienne à mieux comprendre la complexité des défis auxquels sont confrontées les communautés autochtones, le couple de journalistes primés Michael Swan et Yone Simidzu s’est rendu en mission au Brésil au début de l’année. Pendant sa longue carrière de rédacteur adjoint du Catholic Register, M. Swan a écrit de nombreux articles sur notre travail. Mme Simidzu, qui est originaire du Brésil, travaille comme traductrice portugaise à Toronto.
Les témoignages et les photos d’une grande puissance que M. Swan et Mme Simidzu ont recueillis au Brésil ont été publiés dans le magazine America (voir article en anglais) et ont fait l’objet d’expositions et de présentations à travers l’Ontario. La première partie de leurs notes du Brésil a été publiée ici le 9 août, à l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones. Les autres parties seront publiées les deux prochains vendredis de ce mois.
L’or se négocie à des niveaux records, à plus de 2 400 dollars américains l’once de troy, mais le coût pour les Yanomami est bien plus élevé.
Dans son étude d’avril 2024 (voir rapport en anglais), la Fondation Oswaldo Cruz, le principal institut de recherche en santé publique du Brésil, a constaté que 84 % des 293 Yanomami vivant le long de la rivière Mucajai présentaient des taux de mercure dangereusement élevés dans leur organisme et que 10 % d’entre eux avaient un taux de mercure trois fois supérieur à celui que l’Organisation mondiale de la santé considère comme dangereux.
À 2 microgrammes par gramme (µg/g), soit la concentration détectée dans 84 % de l’échantillon, le métal lourd peut altérer les fonctions cognitives, la mémoire, l’attention et la coordination physique. Il peut également entraîner la cécité et des troubles de l’audition et de l’élocution. Depuis les années 1960, cette pathologie est connue sous le nom de maladie de Minamata. Transmis au fœtus à travers le placenta, il peut provoquer des malformations congénitales, notamment la microcéphalie, des lésions cérébrales et des symptômes similaires à ceux de l’infirmité motrice cérébrale. À 6 µg/g, soit la concentration trouvée chez près de 11 % des personnes participantes à l’étude, les effets sont plus graves et plus certains.
« Nos enfants naissent malades, notre peuple meurt à cause des mines d’or », a déclaré Dário Vitório Kopenawa, vice-président de l’association Hutukara Yanomami, à L’Osservatore Romano dans un article paru le 9 avril en première page (voir en italien) de ce journal semi-officiel du Vatican.
Des chercheurs de la fondation Ozwaldo Cruz ont constaté que 55,2 % des enfants yanomami présentent des déficits cognitifs et que plus de 30 % des Yanomami souffrent de maladies nerveuses dégénératives.
Le 11 avril 2024, le père de Dário Kopenawa, le chaman et leader politique Davi Kopenawa, a rendu visite au pape François pour lui demander de l’aide.
« Je n’ai pas peur de l’homme blanc, mais j’ai tellement peur des machines qui détruisent la terre, abattent les arbres et creusent des fossés dans le sol pour extraire les minéraux. J’ai peur que cette exploitation minière ne ruine nos communautés, nos rivières, notre santé, notre survie et notre richesse même », a déclaré le patriarche Kopenawa aux journalistes couvrant le Vatican, à Rome, après son audience papale.
Les mines et la misère au Brésil
C’est à cause de l’or que les Yanomami ont du mercure dans leur organisme. Les chercheurs clandestins de mines, connus sous le nom de garimpeiros, ont contaminé les rivières du territoire autochtone des Yanomami avec du mercure. Le mercure a infecté les poissons. Les poissons ont infecté les Yanomami.
Les garimpeiros, qui étaient jusqu’à 20 000 personnes lors d’une course sauvage vers l’or sur les terres des Yanomami, encouragée par l’ancien président brésilien Jair Bolsonaro, sont financés par les barons de la drogue du Premier Commandement de la Capitale (Primeiro Comando da Capital), la principale bande criminelle organisée du Brésil. Le narco-garimpo est une nouvelle catégorie dans l’industrie minière brésilienne. Il s’avère que l’or n’est pas seulement rentable, c’est aussi un excellent moyen de blanchir l’argent de la drogue.
Les effets négatifs de l’exploitation minière illégale sur les Yanomami et leurs terres dépassent même les conséquences désastreuses de l’empoisonnement au mercure. Des garimpeiros armés ont intimidé des communautés entières, les éloignant de leurs terrains de chasse traditionnels, détruisant les rivières qui approvisionnent les Yanomami en poissons et empêchant même les gens de cultiver leurs jardins. Pendant les années Bolsonaro (2018-2022), les garimpeiros ont pris le contrôle des postes de santé du gouvernement et ont confisqué les médicaments destinés aux Yanomami. En janvier 2023, des photos de Yanomami affamé·e·s ont choqué la population brésilienne.
Mgr Evaristo Spengler, évêque de Roraima, nous a dit que l’invasion du garimpeiro était de la responsabilité du gouvernement qui l’avait encouragée et qu’il s’agissait d’un génocide.
Tracer l’or entaché
Mais que se passerait-il si l’or illégal des garimpeiros ne pouvait être exporté et vendu sur les marchés internationaux ? Il s’avère que des tests en laboratoire permettent de déterminer où l’or a été extrait en faisant correspondre les éléments traces de l’or à une base de données géographique. Ces tests en laboratoire ne sont pas exigés pour l’or exporté du Brésil vers le Canada.
En vertu du droit international, en tant que signataire de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948) et de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, le Canada a le devoir de faire ce qui est en son pouvoir pour réduire les risques de génocide même au-delà de ses frontières, selon Shin Imai (voir profil en anglais), professeur à la Osgood Hall Law School de Toronto et fondateur du projet Justice et responsabilité des entreprises (Justice and Corporate Accountability Project ; voir site Web en anglais).
« Le Canada, en tant que membre de la communauté internationale, a donc la responsabilité de s’attaquer au génocide au Brésil », a écrit M. Imai dans un courriel. « L’un des moyens de résoudre ce problème est de tester l’origine de l’or. »
La London Bullion Market Association gère un programme volontaire d’approvisionnement responsable qui s’adresse aux grandes sociétés minières et aux raffineurs d’or, les encourageant à rendre compte des sources d’or qu’ils commercialisent (voir page Web en anglais). Le Conseil mondial de l’or gère un programme de déclaration volontaire similaire, qui exige des mineurs et des raffineurs participant au programme qu’ils fassent l’objet d’audits par des tiers afin de s’assurer que leur or provient d’une source responsable et légale (voir page Web en anglais). Aucun de ces programmes n’exige des mineurs ou des acheteurs d’or qu’ils testent leur or en laboratoire.
Comment et pourquoi le Canada doit protéger les communautés au Brésil
Les mesures de déclaration volontaire ne sont pas la même chose qu’une réglementation gouvernementale et elles ne rassurent pas le Réseau canadien sur la reddition de comptes des entreprises (RCRCE), qui compte Développement et Paix – Caritas Canada parmi ses membres.
« Le Canada doit de toute urgence mettre en place des mesures obligatoires pour s’assurer que les entreprises et les chaînes d’approvisionnement canadiennes ne causent pas ou ne contribuent pas à des violations des droits humains et de l’environnement », a déclaré Aidan Gilchrist-Blackwood, coordinateur du RCRCE.
Bien que le RCRCE ne puisse pas se prononcer sur l’efficacité d’une analyse obligatoire en laboratoire de tout l’or importé sans consulter au préalable les membres du réseau, M. Gilchrist-Blackwood a déclaré qu’une réglementation obligatoire serait conforme à l’approche du RCRCE à l’égard de la nouvelle législation canadienne sur la déclaration de la chaîne d’approvisionnement. Promulguée en mai 2023, cette loi oblige les grandes entreprises à rendre compte publiquement des risques de travail forcé, de travail des enfants et d’autres violations des droits humains dans leurs chaînes d’approvisionnement. Le RCRCE et Développement et Paix – Caritas Canada font pression pour renforcer la réglementation autour de la nouvelle loi.
« Pour que cette loi soit efficace dans la lutte contre ce type d’abus graves dans les chaînes d’approvisionnement canadiennes, elle doit : 1) exiger des entreprises qu’elles préviennent les violations des droits humains ; 2) aider les personnes affectées à l’extérieur du Canada à obtenir réparation devant les tribunaux canadiens ; et 3) l’appliquer à tous les droits humains », a écrit M. Gilchrist-Blackwood dans un courriel.
Plusieurs demandes de commentaires adressées à la ligne média d’Affaires mondiales Canada sont restées sans réponse.
Le Canada importe 31,4 % de l’or que le Brésil exporte. Les mineurs canadiens sont les plus présents dans l’industrie minière brésilienne, avec au moins 35 sociétés cotées à la Bourse de Toronto ou à la Bourse de croissance de Toronto qui produisent ou explorent des actifs miniers dans différentes régions du pays. La société Equinox Gold de Vancouver, cotée à la Bourse de Toronto, possède quatre mines au Brésil qui ont produit 296 800 onces d’or en 2023 (voir site Web en anglais). Lundin Mining, également basée à Vancouver et cotée à la Bourse de Toronto, a racheté Yamana Gold en 2019 et produit désormais 60 000 onces d’or par an au Brésil (voir site Web en anglais).
Le Canada peut faire une différence au Brésil, mais le fera-t-il ?
La position dominante du Canada dans l’industrie minière brésilienne signifie que le Brésil se conformerait sans problème à l’exigence d’un test de laboratoire canadien pour ses exportations d’or, a déclaré Francisco Alves, rédacteur en chef de Brasil Mineral, un magazine spécialisé dans l’industrie minière (voir site Web en portugais).
« L’industrie aurifère brésilienne est préoccupée par l’extraction illégale qui a lieu dans les territoires autochtones », a déclaré M. Alves.
Les sociétés minières légitimes et légales veulent mettre le plus de distance possible entre elles et les narco-garimpeiros qui détruisent la terre des Yanomami, a-t-il déclaré. « Je pense que la majorité d’entre elles réagiront positivement [à l’obligation de tests en laboratoire], car la plupart des producteurs d’or industriels du Brésil sont cotés à la bourse canadienne », a déclaré M. Alves.
Giorgio de Tomi, professeur à l’université de São Paulo et fondateur du Centre pour l’exploitation minière responsable de l’université (voir profil en anglais), considère que l’obligation d’effectuer des tests en laboratoire est une « option réalisable », mais il doute qu’elle permettrait de capturer une grande partie de l’or illégal.
« Le Canada achète de l’or à des sources réputées et à des négociants bien connus. Il est peu probable que ces institutions prennent le risque d’acheter de l’or à des mineurs artisanaux inconnus. Cela peut arriver, mais je trouve cela peu probable », a-t-il déclaré.
Mais en Suisse, où 70 % de l’or mondial est raffiné, les observateurs du secteur ne sont pas aussi confiants.
« La dissimulation de l’origine de l’or est un problème majeur », a déclaré Christoph Wiedmer, codirecteur de la Société pour les peuples menacés, en Suisse.
Les recherches de M. Wiedmer l’amènent à penser que de l’or sale, de l’or sanglant, circule sur le marché légitime de l’or. L’Inde et la Chine, les deux plus grands marchés de l’or, ne s’intéressent pas à la réglementation et le marché de l’or de Dubaï est réputé pour son indifférence à l’égard des origines criminelles de l’or.
« L’or est si précieux qu’il est facile d’en faire la contrebande, de tricher et de le déclarer de manière inappropriée », a déclaré M. Wiedmer dans un courriel envoyé depuis Berne. « La Suisse et le Canada jouent un rôle important en tant qu’acheteurs d’or provenant de nombreux endroits, y compris d’origine sale. »
Selon M. Wiedmer, pour que les tests de laboratoire permettent de remonter à l’origine géographique de l’or, il faudrait que les laboratoires disposent d’une énorme base de données sur les oligo-éléments et leur origine. Mais c’est là tout l’intérêt d’un régime de tests obligatoires.
« Il serait bon d’obliger les importateurs d’or à effectuer régulièrement de tels tests et à les consigner dans une base de données centrale », a déclaré M. Wiedmer. « Cela pourrait permettre d’éviter que la Suisse n’importe de l’or issu du génocide ».
Le Canada importe-t-il de l’or issu du génocide ? On ne le sait pas. Personne ne vérifie.
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