Notes du Brésil Partie 1 : La lutte pour la terre

Par Michael Swan et Yone Simidzu, pour Développement et Paix – Caritas Canada

Développement et Paix – Caritas Canada est engagé depuis des décennies au Brésil. Notre soutien a aidé nos partenaires à soutenir, autonomiser et accompagner de nombreuses communautés autochtones, en particulier dans la région de l’Amazonie, qui luttent pour faire valoir leurs droits à la terre, aux moyens de subsistance et à un environnement sain.

Pour aider la population canadienne à mieux comprendre la complexité des défis auxquels sont confrontées les communautés autochtones, le couple de journalistes primés Michael Swan et Yone Simidzu s’est rendu en mission au Brésil au début de l’année. Pendant sa longue carrière de rédacteur adjoint du Catholic Register, M. Swan a écrit de nombreux articles sur notre travail. Mme Simidzu, qui est originaire du Brésil, travaille comme traductrice portugaise à Toronto.

Les témoignages et les photos d’une grande puissance que M. Swan et Mme Simidzu ont recueillis au Brésil ont été publiés dans le magazine America (voir article en anglais) et ont fait l’objet d’expositions et de présentations à travers l’Ontario. Aujourd’hui, à l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones, nous vous présentons la première partie de leurs notes du Brésil. Les autres parties seront publiées les trois prochains vendredis de ce mois.

Brazil Brésil : Mike Swan & Yone Simidzu
Paulo Ricardo Macushi
Album Flickr avec des photos de Michael Swan et Yone Simidzu.

Paulo Ricardo, Macushi, sait qu’il y a des chercheurs clandestins de mines, connus sous le nom de garimpeiros, sur les terres de son peuple au Brésil. Il sait que les éleveurs de la région n’apprécient pas les 1,7 million d’hectares identifiés comme territoire autochtone depuis 1993 et légalement réservés exclusivement au peuple Makushi depuis 2005. Il sait que l’opinion populaire dans la ville voisine de Boa Vista penche principalement en faveur de l’idée que les autochtones ont reçu trop de terres, trop facilement, de la part d’une bande d’élites urbaines qui ne comprennent pas que les populations laborieuses des zones rurales, telles que l’État de Roraima, dans le nord du pays, comptent sur les ressources naturelles pour asseoir leur économie.

Cependant, ce coordinateur de la jeunesse de la région de Raposa/Serra do Sol, âgé de 22 ans et travaillant pour le Conseil autochtone de Roraima, ne va pas débattre des droits constitutionnels de son peuple. Il va se battre, se battre pour ses droits, se battre pour sa terre.

« L’État brésilien n’a jamais cessé de vouloir s’emparer de cette terre et de nos ressources », a déclaré le jeune leader makushi. « L’État est raciste, c’est un État génocidaire. »

La lutte pour la terre dans un Brésil méconnu

Paulo vit dans une partie du bassin amazonien qui ne correspond pas à l’image de la forêt dense et des rivières sans fin du National Geographic. Il s’agit du cerrado, une savane tropicale de plaines sèches avec des termitières et des cactus qui s’étendent jusqu’aux montagnes aux frontières du Venezuela et de la Guyane. Mais le combat pour l’Amazonie est le combat de Paulo.

« Ces peuples sont des enfants de la forêt. Le cerrado fait partie de la forêt », a-t-il expliqué aux visiteuses et visiteurs sur les rives du lac Caracaranã, un lieu sacré pour les Makushi, le peuple dont il parle.

Pour Paulo, défendre les terres des Makushi, c’est défendre toutes les terres autochtones du Brésil. Il regarde vers le sud, vers Brasilia, la capitale du Brésil, où les législateurs ont récemment adopté, au mépris de la Cour suprême et de la Constitution brésilienne, une loi qui limiterait et redessinerait les frontières des territoires autochtones. Cette loi ne peut pas être maintenue, a déclaré Paulo.

Darlan Anildo Da Silva, 17 ans, est tout aussi convaincu qu’il doit se battre pour la terre des Yanomami. « Bien sûr, nous allons nous battre. Nous allons nous battre pour notre terre », a-t-il déclaré à nous, deux journalistes du Canada.

Toutefois, dans une clinique pour les Yanomami à Boa Vista, où des membres de sa famille sont traités pour des infections respiratoires, le beau jeune homme à la chemise neuve et à la coupe de cheveux fraîche est moins sûr de lui que son homologue Makushi, Paulo. Il lui est difficile de répondre à la question de la manière dont les Yanomami vont se battre, ou de la raison pour laquelle ils se battent.

Autant pour la culture que pour la terre

« Nous avons adopté le mode de vie des Blancs », a-t-il déclaré, s’exprimant en portugais et entouré, dans la clinique, de Yanomami qui font défiler de manière obsessionnelle des téléphones portables peu coûteux.

Carelli Yanomami, âgé de 47 ans, sait que la jeune génération est en train de perdre son identité, une identité qui dépend du lien des Yanomami avec leur terre. Carelli se sent responsable de la génération de Darlan, mais il vit également dans deux mondes.

« Quand je viens en ville, je porte une chemise et un pantalon [les Yanomami ne portent traditionnellement pas de vêtements], mais chez moi, je suis Yanomami. Je ne change pas d’identité », a-t-il déclaré.

Alors que le monde qui les entoure change, les Yanomami devront rester ancrés sur leur terre pour que leur identité survive. Carelli est venu à la ville lorsqu’il était jeune pour étudier, mais il est ensuite rentré chez lui pour retrouver sa famille.

« La culture est à l’intérieur de nous. Nous ne pouvons pas la changer », a-t-il déclaré.

Une multitude de menaces au Brésil

Les menaces immédiates qui pèsent sur les Yanomami et les Makushi sont nombreuses et graves. Les plus célèbres sont les garimpeiros illégaux – explorateurs, prospecteurs, mineurs – souvent financés par le crime organisé et inlassables dans leur recherche d’or. Ces durs à cuir de la frontière abattent des arbres pour dégager l’espace nécessaire à la construction de routes et de pistes d’atterrissage. Ils creusent le lit des rivières. Ils jettent du mercure dans l’eau pour séparer l’or des autres solides flottants qu’ils ont soulevés dans des eaux qui étaient vierges.

Pendant les quatre années de son gouvernement, l’ancien président Jair Bolsonaro a encouragé les garimpeiros à explorer et à exploiter les territoires autochtones. Il leur a dit qu’ils ne seraient pas poursuivis, tout en démantelant l’agence du gouvernement fédéral chargée de protéger les terres autochtones. À la fin des quatre années de son mandat, les 30 000 Yanomami comptaient parmi eux 20 000 garimpeiros qui occupaient les postes de santé du gouvernement et intimidaient la communauté Yanomami avec un arsenal impressionnant de pistolets et d’armes automatiques.

La destruction des rivières par les garimpeiros et leurs campements tentaculaires ont coupé les Yanomami de leurs sources de nourriture : les terrains de chasse traditionnels, les lieux de pêche et les jardins. En janvier 2023, alors qu’un nouveau gouvernement prenait ses fonctions, les Brésilien·ne·s et le monde entier ont appris que le territoire autochtone des Yanomami connaissait une situation proche de la famine. Pendant les années Bolsonaro, au moins 570 enfants de moins de cinq ans sont morts de malnutrition et de maladies évitables qui y sont liées. Le paludisme, autrefois inconnu des Yanomami, sévissait de manière endémique.

Deuil et perte à une échelle colossale

« Il s’agit d’un génocide. Il est clairement lié au néocolonialisme », affirme Gilmara Fernandes Ribeiro, directrice de la région du Nord pour le Conselho Indigenista Missionario (CIMI, voir site Web en portugais), l’organisation des évêques brésiliens pour les missionnaires qui a été un partenaire de Développement et Paix – Caritas Canada pendant la plus grande partie des 40 dernières années.

Sous la présidence de Bolsonaro, le nombre de morts parmi les Yanomami, entièrement composé d’enfants n’ayant pas l’âge d’aller à l’école, équivalait à deux pour cent de la population totale des Yanomami, qui s’élève à 30 000 personnes. Deux pour cent de la population actuelle du Canada, qui compte 41 millions d’habitant·e·s, équivaudrait à 820 000 morts. Il s’agit là d’un bilan paralysant qu’aucune nation ne pourrait facilement supporter.

M. Fernandes n’est pas le seul à accuser le précédent gouvernement brésilien de génocide. Mgr Evaristo Spengler, évêque de Roraima, a déclaré : « Le précédent gouvernement [de M. Bolsonaro] a refusé l’accès à l’eau potable et aux médicaments lorsque des informations faisaient état de la mort des autochtones. Le projet d’extermination des Yanomami visait à rendre le territoire disponible pour les garimpeiros et d’autres projets d’exploitation des ressources naturelles. Il n’y a pas d’autre nom pour cela que celui de génocide ».

M. Spengler est le président brésilien du REPAM (voir site Web en espagnol), un réseau œcuménique de responsables d’églises dans les huit pays qui possèdent une partie de l’Amazonie. Depuis 2014, le REPAM s’efforce de « créer un modèle de développement qui privilégie les pauvres et sert le bien commun ». Développement et Paix – Caritas Canada est un proche allié du REPAM.

Si les Yanomami représentent l’exemple type de ce qui se passe lorsque le soi-disant développement économique l’emporte sur les droits humains des peuples autochtones à vivre sur leurs propres terres et à leur manière, ils ne sont pas les seuls. Entre 2012 et 2022, les Kayapó ont perdu près de 14 000 hectares au profit de l’exploitation minière clandestine, soit trois fois plus que les Yanomami.

Inégalité devant la loi

Les peuples autochtones brésiliens sont certes assiégés par les garimpeiros (mineurs) et les fazendeiros (éleveurs, agro-industrie), mais la plus grande menace est peut-être celle des politiciens brésiliens de droite qui ont fait adopter une nouvelle législation visant à couper les peuples autochtones brésiliens de leurs terres ancestrales et à limiter le contrôle qu’ils exercent sur leur territoire.

La nouvelle loi est basée sur une théorie juridique discréditée et rejetée, connue sous le nom de marco temporal. Selon cette théorie juridique, les Brésilien·ne·s autochtones n’ont droit qu’aux terres qu’ils habitaient physiquement ou qu’ils avaient revendiquées le 5 octobre 1988, date à laquelle la Constitution brésilienne a été promulguée. La nouvelle loi, adoptée à la fin de l’année 2023, risque de se heurter à la Cour suprême du Brésil, qui a déjà jugé à plusieurs reprises que ce type de limitation des droits fonciers des autochtones était inconstitutionnel.

« La Chambre a approuvé un projet de loi, et ce projet de loi est une ruse », a expliqué Melillo Dinis do Nascimento, avocat et conseiller politique du REPAM, dans un courriel. « Il est évident que ce projet de loi est inconstitutionnel. »

Les Makushi et les Yanomami – Paulo, Darlan et Carelli – comptent sur Nascimento, le REPAM, le CIMI et leurs propres avocats et leaders pour mettre un terme à cette loi. Les peuples autochtones ne sont pas apparus soudainement au Brésil un jour de l’automne 1988. La constitution brésilienne reconnaît clairement la présence des peuples autochtones brésiliens avant le début de la colonisation européenne du XVe siècle.

Le président Luiz Inácio Lula da Silva avait tenté de vider la nouvelle loi de sa substance en opposant son veto à environ 80 % du texte, ligne par ligne. Ses vetos ont été annulés par une majorité de sénateurs brésiliens alliés à l’agro-industrie.

Le lobby de l’agro-industrie soutient que la loi est nécessaire pour assurer la stabilité des agricultrices et des agriculteurs qui craignent que leurs terres soient revendiquées par les populations autochtones et leur soient cédées dans le cadre d’un processus que les Brésilien·ne·s appellent « démarcation ». Ce processus juridique, dans un pays qui n’a jamais signé de traités avec les nations autochtones a été rendu obligatoire par la constitution de 1988.

« Notre priorité absolue est d’éviter les conflits qui, par le passé, ont porté atteinte à la paix et à la tranquillité de centaines de familles rurales. Nous défendons le respect le plus absolu de l’État de droit », a déclaré le président de la Fédération agricole de Santa Catarina, José Zeferino Pedrozo, l’un des principaux porte-parole du lobby agricole, dans un communiqué de presse publié le 18 janvier.

En fait, l’imposition d’une limite temporelle artificielle aux revendications territoriales des autochtones au Brésil va à l’encontre de la stabilité et de la sécurité juridiques, a déclaré M. Nascimento.

« La tactique de celles et ceux qui défendent cette idée est de créer une série de conflits juridiques et de remettre la question entre les mains de la Cour pour retarder le processus de démarcation, créer des obstacles et promouvoir davantage de violence contre les peuples autochtones », a déclaré l’avocat du REPAM.

Les agricultrices et les agriculteurs qui affirment craindre le processus de démarcation exploitent, dans de nombreux cas, des terres volées. « Elle [la législation sur le marco temporal] offrira injustement une ‘sécurité juridique’ aux occupants actuels des terres, dont beaucoup les ont acquises illégalement, par le biais du vol de terres publiques », a déclaré M. Nascimento.

M. Nascimento est absolument convaincu que la nouvelle loi sera invalidée par la Cour suprême du Brésil. Mais le REPAM, le CIMI, l’Articulation des peuples autochtones du Brésil et leurs alliés sont tout aussi déterminés à convaincre le public brésilien que les droits autochtones, en tant que droits humains, doivent être intégrés dans le tissu de la société brésilienne.

« Nous nous sommes engagés dans ce combat depuis notre création », a déclaré M. Nascimento. « Les mots clés sont résistance, plaidoyer et lutte. »

Les Brésiliennes et les Brésiliens doivent décider s’ils veulent être gouvernés par l’État de droit, a déclaré M. Fernandes, du CIMI. L’alternative au respect de la constitution et des droits des autochtones qui y sont inscrits est l’anarchie « des meurtres, de la violence, des suicides, de la dépendance économique ». M. Fernandes a ajouté que les peuples autochtones « ne se battent pas seulement pour leur terre, mais aussi pour leur spiritualité et leurs droits cosmiques ».

L’espoir au milieu de la faim : le rôle de l’Église catholique du Brésil

L’Église catholique est un allié de poids dans ce combat. « Le soutien du pape François est fondamental », a déclaré M. Fernandes.

« L’Église catholique n’assume pas le rôle du peuple autochtone. Nous marchons ensemble avec les autochtones », a déclaré M. Spengler. « Les problèmes auxquels les peuples autochtones sont confrontés doivent être résolus par les peuples autochtones. L’attention internationale nous aide. »

Vivant avec les Yanomami, le père Bob Franks, missionnaire de la Consolata, a vu de près la résistance des autochtones. L’année dernière, il était présent lorsque quatre jeunes Yanomami, deux hommes et deux femmes, se sont rendus au dispensaire local pour demander au personnel de ne pas distribuer aux garimpeiros qui avaient envahi leur territoire des médicaments contre le paludisme destinés aux autochtones. Compte tenu des armes que les garimpeiros portent en permanence, se présenter au poste de santé pour faire cette demande alors que les garimpeiros étaient là pour demander des pilules contre le paludisme était un acte de courage.

Le père Franks a rapporté que le jeune Yanomami a déclaré : « Non, c’est à nous. Ils viennent de l’extérieur. Ils sont blancs. Ils ont tout pour acheter pour eux et ils veulent prendre ce qui est à nous ». Se souvenant de ce que cet acte de résistance lui a fait ressentir, le père a déclaré : « C’est ce qui m’a donné de l’espoir. C’est pour cela que je dis : Nous avons faim, mais nous avons un grand espoir ».



À lire aussi :

Effectuez votre recherche

Restez informé·e

Ne manquez rien sur le travail de nos partenaires internationaux ou sur nos campagnes de sensibilisation et de mobilisation.

Inscrivez-vous dès maintenant à notre infolettre.