Par Minaz Kerawala, Conseiller en communication et relations publiques
Cette année, nos histoires de l’Avent sont des récits éprouvants mais encourageants qui nous sont envoyées de Terre Sainte par notre partenaire, Caritas Jérusalem. Alors que le monde est resté les bras croisés, près de 45 000 personnes ont été tuées et plus de 104 000 ont été blessées à Gaza au cours des 14 derniers mois. Néanmoins, même quand les bombes israéliennes pleuvent autour d’eux, anéantissant la vie et tout ce qui la soutient, Caritas Jérusalem jure : « Nous restons engagés dans notre mission de paix et d’espoir » (voir déclaration en anglais). Voici les histoires de leur personnel, qui surmonte des défis inimaginables pour apporter de l’aide et du secours, un effort rendu possible en partie grâce à la générosité des sympathisant·e·s de Développement et Paix – Caritas Canada.
« À Celui qui peut réaliser, par la puissance qu’il met à l’œuvre en nous, infiniment plus que nous ne pouvons demander ou même concevoir, gloire à lui dans l’Église et dans le Christ Jésus pour toutes les générations dans les siècles des siècles. Amen. »
― Ephésiens 3,20-21
Comme toute personne brillante et heureuse partout dans le monde, Abir Abu Mutlak, 26 ans, appréciait tous les aspects de sa vie quotidienne, même les plus banals. Malgré le véritable siège d’Israël sur sa terre natale de Gaza, il y avait ce qu’elle appelle « un sens réconfortant de la routine ».
Ainsi, Abir aimait cuisiner, faire les courses, passer du temps avec ses frères et sœurs et visiter le célèbre parc Al-Jundi al-Majhoul de la ville de Gaza. Elle aimait aussi « se réveiller et aller au travail » et appréciait particulièrement de rentrer chez elle en longeant le front de mer. « La mer est très importante pour les gens de Gaza, c’est là que nous allons nous amuser, faire des pique-niques et même célébrer des mariages », explique Abir, en ajoutant : « C’est aussi un lieu de réflexion, pour trouver du réconfort quand la vie semble accablante. »
Mais ces promenades sur la plage et ces rythmes rassurants étaient dans ce qui semble être une autre vie aujourd’hui. Car Israël a déclenché une avalanche de violence qui, après avoir bénéficié d’une impunité pendant plus d’un an, est désormais qualifié en des termes très lourds (voir par exemple les rapports récents d’Amnesty International et de Human Rights Watch).
Perturbations catastrophiques, pertes tragiques
Lire les situations et évaluer les risques faisait partie du travail d’Abir en tant que coordonnatrice de projet de Caritas Jérusalem pour les interventions socio-pastorales à Gaza. À propos des terribles attaques du Hamas le 7 octobre 2023, elle a déclaré : « J’ai su immédiatement que cela allait dégénérer en quelque chose de catastrophique. Ma première pensée a été ‘‘Est-ce que c’est la guerre où je perdrai quelqu’un que j’aime ?’’ »
Trois jours plus tard, la guerre a atteint le seuil de sa porte. Dans la nuit du 10 octobre, Israël a bombardé l’immeuble situé en face du sien. Comme elle est du genre à prendre les choses en main, Abir a réveillé les 60 familles de son immeuble et les a organisées pour les évacuer. « Nous avons fui dans la nuit, laissant tout derrière nous », se souvient-elle.
Lorsque la maison de l’ami qui les abritait a également été bombardée une semaine plus tard, la famille d’Abir s’est installée dans le centre culturel et social orthodoxe. Néanmoins, ce refuge a lui aussi dû être abandonné peu de temps après en raison des frappes aériennes israéliennes.
Avec un père en fauteuil roulant incapable de se déplacer loin, la famille ne pouvait pas déménager dans les régions du sud que les Israéliens avaient déclarées sûres (pour les bombarder plus tard, mais cela n’était pas connu à l’époque). Grâce aux relations d’un superviseur, Abir a obtenu une place au YMCA.
« Pendant deux mois, nous avons vécu la dure réalité du déplacement », raconte Abir. « La nourriture et l’eau se sont raréfiées, les marchés se sont vidés et les prix ont grimpé en flèche. L’accès à l’argent liquide était impossible, les banques ayant été bombardées, et nous avons attendu avec désespoir que l’aide nous parvienne. »
L’odeur de la peur était omniprésente. Abir raconte : « Des chars nous encerclaient et chaque mouvement était synonyme de risque de mort. » Ils se sont à nouveau réfugiés dans la maison déserte d’un autre ami, où ils ont continué à être assiégés par les forces d’occupation israéliennes. « Ces périodes ont été marquées par une faim extrême, un manque d’eau potable et l’absence de médicaments pour mes parents », raconte Abir.
Le 12 juillet, le sombre pressentiment d’Abir s’est réalisé. Sa mère a succombé à une crise cardiaque provoquée par le stress du siège. « Ce fut le moment le plus dévastateur de ma vie », déplore Abir. « En tant que fille aînée, je suis désormais responsable de ma famille. »
Ne pas lâcher, ne pas céder
Avant la guerre, Abir avait l’habitude de rencontrer les familles impliquées dans les projets, de les informer de leur situation et d’enregistrer leurs histoires afin de mettre en lumière les effets positifs du travail de Caritas Jérusalem. Aujourd’hui, les tirs aveugles et les mitraillages israéliens rendent les déplacements extrêmement dangereux. Les visites à domicile sont devenues rares parce que, dit Abir d’un ton sombre, « Dans de nombreux cas, il n’y a plus de maisons à visiter ».
Cependant, Abir n’a été que freinée, jamais intimidée.
« Malgré ces difficultés, nous continuons à aller de l’avant », a-t-elle déclaré. « Je continue à rendre visite aux bénéficiaires lorsque c’est sûr, car si nous ne le faisons pas, les projets dont dépendent des centaines de familles risquent d’être interrompus. »
Abir admet que la guerre a eu un impact émotionnel et a sapé son énergie et son enthousiasme. Pourtant, dit-elle, « l’impact de notre travail et les vies que nous touchons me rappellent pourquoi nous continuons, quelles que soient les difficultés ».
Elle imagine…
Abir a vu et partagé les « souffrances inimaginables » de la population, y compris les conséquences psychologiques sur les enfants et les adultes. Leur résilience face à tout cela la motive. Lorsque cela ne suffit pas, elle se tourne vers l’intérieur.
« Ce qui me fait avancer, c’est mon imagination », révèle Abir. « C’est mon point d’ancrage pendant la journée, qui m’aide à accomplir mes tâches, et la nuit, elle me donne le réconfort dont j’ai besoin pour dormir. »
Elle s’imagine serrer ses proches dans ses bras. Elle s’imagine se permettre de pleurer à chaudes larmes. Elle imagine revoir sa grand-mère et sa tante. Elle imagine serrer sa tante contre elle pour l’aider à surmonter un deuil. Elle s’imagine obtenir le meilleur traitement pour son père afin qu’il puisse remarcher. Elle imagine sa sœur retourner à l’école et retrouver de la joie. Elle imagine ses frères obtenir des diplômes et construire leur avenir.
Dans les moments décontractés, elle pense même à elle. À trouver l’amour, à se marier et à bâtir un foyer aussi chaleureux et réconfortant que celui que sa mère a bâti. Au roman qu’elle aimerait écrire un jour et au film qui en serait tiré.
Plus encore, elle imagine toutes les personnes guéries. Elle les imagine se remettant de la perte de vies et de dignité humaine. Elle imagine un changement positif et une chance de reconstruire. Et surtout, elle imagine la paix.
Un message pour le monde
« La réponse de la communauté internationale à la situation à Gaza a été décevante », a déclaré Abir sans ambages. Elle a entendu les platitudes et a vu les cris d’orfraie. Mais, poursuit-elle, « l’absence de mesures décisives pour faire face à la crise humanitaire et mettre fin à la violence met en évidence un écart troublant entre la rhétorique et la réalité ».
Selon Abir, « la population de Gaza mérite plus que des déclarations de soutien ». Elle déclare : « J’exhorte le monde à aller au-delà des mots et à prendre des mesures tangibles pour faire respecter les principes de l’humanité et du droit international. »
Abir ressent un lien spécial avec le Canada, et ce n’est pas parce que The Weekend est son artiste préféré. Ce sont nos jeunes qui lui ont fait aimer notre pays. Elle a déclaré : « Les puissantes manifestations menées par vos étudiants et vos communautés ont sensibilisé le monde à ce qui se passe ici, amplifiant des voix qui, autrement, n’auraient pas été entendues. »
Aux chrétien·ne·s, Abir a dit : « Alors que vous célébrez avec vos proches, sachez que vos prières, vos voix et votre compassion ne nous ont pas seulement rejoints, mais nous ont donné de la force. Noël nous rappelle notre humanité commune, qui voit au-delà des frontières et apporte de l’espoir à celles et ceux qui en ont besoin. Que cette saison nous inspire à continuer à porter la lumière de la paix et de l’amour dans le monde ».
En cette période de possibilités, continuez à répandre la lumière de la générosité afin que nos partenaires puissent aider les personnes en détresse en Terre Sainte et dans le monde entier à imaginer et à réaliser un avenir meilleur pour leurs enfants et pour eux-mêmes.
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