Par Minaz Kerawala, Conseiller en communication et relations publiques
Le samedi 19 octobre 2024, Développement et Paix – Caritas Canada a organisé un Webinaire sur la Palestine auquel ont participé plus de 135 personnes de partout au Canada. Faisant suite à une année d’horreurs à Gaza et au-delà, le webinaire visait à contextualiser le conflit en cours, qui a déjà coûté la vie à plus de 42 700 personnes dans la seule bande de Gaza (voir rapport en anglais), ainsi que notre réponse à cette situation.
Webinaire sur la Palestine : des intervenants éminents, des éclairages précieux
Le webinaire était animé par notre directrice intérimaire de l’engagement public, Selina Hunt. L’archevêque de Saint-Boniface, Mgr Albert LeGatt, a prononcé la prière d’ouverture.
Le père David Neuhaus, érudit jésuite, a donné un aperçu de l’histoire récente de la Terre Sainte. Il a expliqué que les racines du conflit actuel remontent à plus d’un siècle, lorsque les injustices commises par les autorités coloniales britanniques ont facilité la domination et l’oppression continues du peuple palestinien et l’occupation illégale de ses terres par Israël. À la fin, il a déclaré : « 107 ans de conflit, ça suffit ! ».
Anton Asfar, le secrétaire général de Caritas Jérusalem, a décrit la situation actuelle à Gaza, les privations auxquelles est confrontée la population et en particulier la communauté chrétienne en déclin, ainsi que les efforts courageux de son organisation pour apporter une certaine aide et des secours à la population assiégée et bombardée.
Nagui Demian, notre coordinateur des programmes internationaux, a présenté le travail accompli par nos partenaires pour fournir des abris, de la nourriture et un soutien médical et psychosocial à la population de Gaza et pour défendre les droits des Palestinien·ne·s en Cisjordanie.
Hélène Gobeil, notre directrice des communications et des campagnes, a passé en revue le travail de plaidoyer que nous avons réalisé au cours de l’année écoulée avec nos membres, nos partenaires de la société civile canadienne, des groupes internationaux et d’autres membres du réseau Caritas.
Enfin, Luke Stocking, directeur exécutif par intérim, et Brenda Arakaza, notre présidente, ont remercié les panélistes et les personnes participantes et ont invité les gens à faire un don pour Gaza et à écrire à leurs député·e·s pour soutenir notre plaidoyer en faveur d’un cessez-le-feu immédiat et d’un embargo significatif sur les armes.
Si vous avez manqué le webinaire, vous pouvez en visionner l’enregistrement ci-dessous :
Webinaire sur la Palestine : des réponses d’experts
Faute de temps, les panélistes n’ont pas pu répondre à toutes les questions posées par les personnes participantes. Nous leur avons donc transmis les questions pour suivi. Vous trouverez ci-dessous les réponses fournies par le père David (DN) et M. Asfar (AA), qui représentent leurs points de vue personnels.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l’aide alimentaire destinée à Gaza ?

AA: Avant le 7 octobre 2024, 500 camions en moyenne entraient chaque jour dans la bande de Gaza, livrant des biens essentiels, notamment des denrées alimentaires et des articles non alimentaires. Cependant, e nombre a chuté de façon spectaculaire au cours de l’année écoulée. Depuis le début du mois d’octobre 2024, moins de 30 camions entrent chaque jour dans la bande de Gaza. Cette forte baisse a eu un impact direct sur la sécurité alimentaire de Gaza. Selon le dernier rapport (voir en anglais) sur la classification intégrée des phases de la sécurité alimentaire (mieux connue sous l’acronyme anglais IPC), environ 1,84 million de personnes dans la bande de Gaza sont confrontées à des niveaux sévères d’insécurité alimentaire aiguë (IPC Phase 3 ou plus) entre septembre et octobre 2024, dont près de 133 000 personnes en situation d’insécurité alimentaire catastrophique (IPC Phase 5). La situation exige d’urgence une pression internationale pour garantir l’entrée immédiate des camions d’aide dans la bande de Gaza.
Comment les peuples juif et palestinien peuvent-ils, après ce qui s’est passé, vivre ensemble, sachant qu’il y a des extrémistes des deux côtés ?
DN: Il est en effet difficile de croire qu’ils puissent vivre en paix. Les blessures sont profondes et les extrémistes s’en servent pour répandre plus de haine et plus de violence. Ainsi, elles s’enveniment et ne peuvent pas se cicatriser. Il semblait que la coexistence ne serait jamais possible entre les Français et les Allemands, les Blancs et les Noirs d’Afrique du Sud, etc. Il y a eu un avant, quand le peuple juif vivait avec d’autres Palestinien·ne·s (avant 1948), quand le peuple juif vivait comme les Arabes dans tout le Moyen-Orient (au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Égypte, au Yémen, en Irak, en Syrie, au Liban…). Il peut y avoir un avenir très différent du présent si le monde est convaincu qu’il peut l’être et prend des mesures pour qu’il le soit.
AA: La Terre Sainte revêt une grande importance pour les trois religions abrahamiques : le judaïsme, l’islam et le christianisme. Bien qu’il y ait des extrémistes des deux côtés du conflit, il y a aussi des individus dans les deux communautés qui nourrissent des intentions sincères de paix et de réconciliation. Malheureusement, la crise actuelle a profondément fracturé les deux sociétés, laissant la haine et la division s’enraciner. Pour ouvrir la voie à un dialogue constructif et à un avenir pacifique, il est essentiel de s’attacher à panser les plaies des deux communautés, à favoriser la compréhension et à jeter les bases d’une confiance mutuelle.
Serait-il utile d’inonder de lettres et de courriels les bureaux du Premier ministre Netanyahou et de ses ministres qui prônent la violence, alors qu’ils n’écoutent même pas leurs propres concitoyen·ne·s ?
DN: Non, je ne suis pas sûr que cela soit utile. Nous devons inonder les bureaux de celles et ceux qui soutiennent Netanyahou, l’administration américaine en particulier, mais aussi les leaders occidentaux qui soutiennent encore le gouvernement israélien. Les manifestations et les marches, les protestations et les boycotts doivent être renforcés. Israël fait ce qu’il fait avec l’argent et le soutien moral de gouvernements qui sont complices des crimes de guerre qu’il commet.
AA: La communauté internationale doit de toute urgence faire pression sur le gouvernement israélien actuel pour qu’il mette en œuvre un cessez-le-feu immédiat et durable, établisse des couloirs humanitaires sécurisés, assure la protection de la population civile et des travailleuses et travailleurs humanitaires, facilite un passage sûr pour le secteur commercial privé et mette fin à l’agression militaire et à l’agression des colons en Cisjordanie.
Je crois savoir que les Israélien·ne·s parlent l’hébreu et les Palestinien·ne·s l’arabe. Quelle est la langue de communication entre eux ?

DN: Oui, c’est vrai. Les Israélien·ne·s et les Palestinien·ne·s éduqué·e·s communiquent en anglais. De nombreux Palestinien·ne·s sont contraints de travailler pour des Israélien·ne·s et ont donc appris l’hébreu. Cela fait partie de la tragédie. Avant 1948, il y avait un million de personnes juives dans les pays arabes qui parlaient l’arabe. Lorsque nombre d’entre elles se sont installées en Israël, leur identité arabe a été effacée et leurs enfants ne peuvent plus parler l’arabe aujourd’hui. Quant aux millions de personnes juives qui sont venues en Israël, elles n’ont jamais été encouragées à apprendre l’arabe. La plupart des groupes sionistes ne considéraient pas l’intégration dans la région comme un objectif. De nombreuses personnes juives venant d’Europe méprisaient les Arabes et leur culture. Cette arrogance ne tenait pas compte du fait que l’arabe était une langue très importante pour les peuples juifs et que certains de leurs rabbins et philosophes les plus importants écrivaient en arabe (comme Saadia Gaon et Maïmonide).
AA: Dans de nombreux cas, l’anglais sert de langue commune pour la communication entre les Israélien·ne·s et les Palestinien·ne·s. Cependant, un nombre important d’individus des deux communautés ont également appris la langue de l’autre. Par exemple, de nombreux Palestinien·ne·s, souvent appelés « Arabes israélien·ne·s », qui résident dans des villes côtières comme Haïfa, Jaffa, Ramleh, Lod, Nazareth, Akko… parlent couramment l’hébreu. Non seulement ils maîtrisent la langue hébraïque, mais ils possèdent également une connaissance approfondie des lois et des systèmes israéliens, car ils naviguent dans les paysages culturels et juridiques palestiniens et israéliens dans leur vie quotidienne. Ces connaissances linguistiques et juridiques jouent un rôle crucial dans la promotion de l’interaction et de la coexistence entre les communautés de ces diverses régions.
Pourquoi les Britanniques ont-ils donné tant de terres aux Juifs après 1917, alors que les Juifs ne représentaient qu’un dixième de la population à l’époque ? Cela semble injuste et pourrait avoir incité les Palestinien·ne·s à déclencher la guerre. Y avait-il une raison politique derrière cette distribution apparemment injuste des terres ?
DN: En effet, elle était injuste. La préférence des Britanniques pour le peuple juif pouvait être motivée par trois raisons :
- Certains groupes en Grande-Bretagne (en particulier au sein du gouvernement britannique en 1917, comme le Premier ministre Lloyd George, le ministre des Affaires étrangères Arthur Balfour et d’autres) étaient très préoccupés par le sort des populations juives d’Europe de l’Est, qui étaient confrontées à des circonstances très difficiles, à la persécution et à la violence, en particulier dans l’Empire russe.
- Les personnes concernées étaient souvent des chrétiennes et des chrétiens qui lisaient leur Bible et croyaient que Dieu avait donné la terre aux Juifs (on pourrait les qualifier de fondamentalistes évangéliques).
- Le peuple juif leur paraissait européen et donc « civilisé », contrairement à la population autochtone, qui était majoritairement musulmane et considérée comme primitive.
Trois mots poussent encore souvent les gens à soutenir Israël : culpabilité ( à propos de l’antisémitisme), foi (lectures malencontreuses de la Bible) et racisme (islamophobie et arrogance à l’égard des Arabes en général).
Comment garder la foi et l’espérance au milieu de ce monde maléfique ?
DN: Nous, qui vivons en Terre Sainte, sommes confrontés à cette question en permanence. Un groupe d’entre nous, réunis autour de notre patriarche émérite, Sa Béatitude Michel Sabbah, a rédigé une lettre sur l’espoir qui montre une voie.
AA: L’espoir est une force intérieure qui jaillit de l’intérieur, souvent enracinée dans les croyances, les valeurs et la foi les plus profondes. Ce n’est pas quelque chose qui peut être imposé de l’extérieur, mais plutôt qui émerge du sens interne d’un individu, de sa résilience et de sa confiance en une puissance supérieure ou en un bien plus grand. Vivre sa foi signifie incarner ces croyances dans ses actions quotidiennes, même face à l’adversité. Cela implique de rester fidèle à ses principes et d’agir avec intégrité, compassion et espoir, même lorsque les circonstances sont difficiles. La foi donne aux gens la force de persévérer, tandis que l’espoir les guide vers l’avant, en nourrissant la conviction que des jours meilleurs sont possibles. En vivant votre foi, vous devenez un phare d’espoir pour les autres, montrant que même dans les périodes sombres, la force intérieure et la conviction peuvent éclairer la voie vers un avenir meilleur. Notre devise à Caritas Jérusalem est « Nous mettons l’amour en action ». C’est ainsi que nous vivons notre foi en ces temps très sombres. C’est ainsi que nous vivons notre foi face à la violente tempête de la mer de Galilée (Luc 8, 24-25).
Comment faire en sorte que la solution vienne de l’intérieur si les États-Unis continuent de soutenir Israël ?
DN: La pression doit être exercée de l’extérieur pour que les gens à l’intérieur puissent être motivés à prendre des décisions concernant leur avenir. S’il n’y a pas de pression de l’extérieur, mais au mieux de la complaisance et au pire un soutien aux crimes de guerre israéliens, les Israéliens n’auront aucune motivation réelle pour changer quoi que ce soit. L’Afrique du Sud a dû faire face à des boycotts, des désinvestissements et des sanctions, puis son gouvernement a été poussé à décider que l’apartheid était trop coûteux pour être maintenu à flot. Ce type de pression est nécessaire pour pousser les Israélien·ne·s à se prononcer contre l’occupation et la discrimination et à opter pour le dialogue en faveur de la justice, de la paix, de la liberté et de l’égalité pour tous !
AA: La voie du dialogue et d’une solution durable doit émerger des communautés elles-mêmes, plutôt que d’être imposée par des forces extérieures. Une réconciliation et une paix véritables ne peuvent être obtenues que lorsque les deux sociétés s’engagent activement dans le processus et s’approprient leur avenir. Toutefois, la communauté internationale joue un rôle essentiel en exerçant une pression sur les dirigeants des deux parties, les incitant à rechercher une solution juste et équitable à ce conflit de longue date. Si l’intervention extérieure peut contribuer à faciliter les discussions, la responsabilité ultime de l’instauration d’une paix durable incombe aux dirigeants et aux populations des deux sociétés. Il est essentiel que toute solution respecte les droits, les aspirations et les besoins des deux communautés, ouvrant ainsi la voie à une coexistence partagée et pacifique.