Par Dean Dettloff, chargé de plaidoyer et recherche

Développement et Paix – Caritas Canada se joint à une multitude de personnes dans le monde pour célébrer la vie du père Gustavo Gutiérrez, OP, un fondateur de la théologie de la libération et un ami de longue date de notre mouvement, qui est décédé le 22 octobre 2024. L’année dernière, nous avions félicité Gutiérrez à l’occasion de son 95e anniversaire. Nous réitérons notre appréciation du père Gustavo comme l’un des théologiens les plus importants du dernier siècle, qui restera dans les mémoires pour son exploration courageuse de la signification de notre foi en Jésus-Christ dans un système mondial marqué par les inégalités.
Nous réfléchissons à deux contributions que le père Gustavo a apportées à notre compréhension de ce que signifie un mouvement de solidarité catholique : une compréhension critique du développement et de la libération et la reconnaissance des personnes appauvries en tant qu’agentes de leur propre destin.
Gustavo Gutiérrez, développement et libération
Après la Seconde Guerre mondiale et une vague de mouvements décoloniaux dans le monde entier, le mot « développement » est devenu un terme omniprésent, à tel point qu’il a inspiré le nom de « Développement et Paix », tiré de l’encyclique Populorum Progressio du pape Paul VI, publiée en 1967. Dans le meilleur des cas, le « développement » consistait à donner aux pays et aux populations du Sud les moyens de sortir de la pauvreté par leurs propres moyens.
Dans le pire des cas, comme l’a affirmé le père Gustavo dans son ouvrage de référence de 1971, Théologie de la Libération : perspectives (la traduction française étant publiée en 1974), le terme « développement » est devenu chargé de connotations négatives en Amérique latine. Plutôt que d’évoquer la possibilité d’une justice économique, le prêtre explique que le développement « est synonyme de réformisme et de modernisation, c’est-à-dire de mesures limitées, timides, inefficaces à long terme quand elles n’étaient pas fausses et finalement contre-indiquées pour parvenir à une véritable transformation de la société ». De plus, le père Gustavo note que le développement des pays riches dépend du sous-développement des pays pauvres, ce qui signifie que le confort et les désirs des habitant·e·s du Nord sont rendus possibles par l’exploitation du Sud.
Le père Gustavo a donc suggéré le terme « libération » comme une meilleure façon de nommer ce dont les pays ont besoin pour sortir d’un système qui les retient. Heureusement, le « développement » dans notre nom n’a pas été un obstacle à son amitié avec notre mouvement. En fait, le père a rédigé l’avant-propos de Chemins de solidarité, un livre célébrant le 25e anniversaire de Développement et Paix – Caritas Canada, dans lequel il affirme les contributions et la solidarité authentique de notre mouvement et de l’Église catholique canadienne.
Alors que nous continuons à œuvrer pour la justice et la paix au cours du prochain siècle, nous restons interpellés par l’analyse incisive du père Gustavo et par sa mise en garde contre le fait de se contenter de réformer, plutôt que de transformer, un système mondial injuste.
La puissance des pauvres
Lorsqu’on évoque « les pauvres », que ce soit dans notre pays ou à l’étranger, il est parfois facile de penser qu’il s’agit de personnes qui sont simplement dans le besoin, qui reçoivent passivement de l’aide. Même les personnes bien intentionnées qui se soucient de justice sociale considèrent souvent les pauvres comme des personnes qui ont besoin d’une solution paternaliste, d’une assistance de la part de personnes qui savent mieux que quiconque. Ce point de vue est également très répandu dans le domaine du développement international et de l’aide, où les ONG et les gouvernements considèrent les pauvres comme de simples cas de charité. Le père Gustavo, en revanche, insiste sur le fait que les pauvres ont le pouvoir et le droit de penser et d’agir eux-mêmes, en tant qu’architectes de leur propre destin. La solidarité authentique consiste à s’engager aux côtés des pauvres et à se joindre à leurs luttes pour la libération.
À Développement et Paix – Caritas Canada, nous sommes engagés dans cette vision de la solidarité, et c’est pour cela que nous travaillons avec les organisations locales pour déterminer comment nous pouvons nous unir pour un monde plus juste. Comme le dit le père Gustavo dans son avant-propos : « Comme le savent les personnes si généreusement engagées dans le travail de Développement et Paix – Caritas Canada, le développement est avant tout l’œuvre des nations pauvres elles-mêmes… car le pauvre n’a pas que des carences, il possède également des possibilités et des capacités pour transformer sa situation. »
Les « pauvres », poursuit le père Gustavo, ne sont pas seulement les personnes économiquement défavorisées, mais aussi « des races et les cultures méprisées, et les classes sociales dépouillées et des femmes, doublement marginalisées et opprimées lorsqu’elles proviennent des secteurs populaires. »
Son engagement à regarder les pauvres comme des personnes ayant des aspirations et des capacités reste une caractéristique essentielle de notre travail qui consiste à joindre nos vies et nos ressources à celles des personnes qui luttent pour leur propre libération.
Porter la flamme
En ces temps de crise écologique, d’inégalités croissantes, de guerres et de rumeurs de guerres, l’héritage du père Gustavo est peut-être plus important que jamais. Loin d’être confinée à l’académie, sa théologie continue de résonner dans les efforts quotidiens des communautés chrétiennes du monde entier, y compris de nos partenaires, comme l’Instituto Bartolomé de Las Casas (voir site Web en espagnol) au Pérou, que le défunt père a fondé il y a 50 ans.
La légende raconte qu’avant la naissance du Saint Dominique, sa mère a rêvé d’un chien noir et blanc portant une torche flamboyante qui éclairait le monde. Le père Gustavo, prêtre dominicain, a lui aussi allumé une torche de libération qui a mis en lumière les conditions globales de pauvreté et de libération. Puissions-nous continuer à garder cette torche allumée jusqu’à ce que tous les peuples soient libérés des structures d’oppression.
¡Padre Gustavo Gutiérrez, presente!