Par Luke Stocking, directeur général par intérim
O petite ville de Bethléem, comme nous te voyons toujours couchée…
En ce Noël, Bethléem est toujours là. Il n’y a pas de pèlerins. « Évitez tout voyage », peut-on lire dans l’avis du gouvernement du Canada. Développement et Paix – Caritas Canada souhaite offrir un conseil différent : Venez à Bethléem. Venez à Bethléem et voyez ce que nous voyons ici.
Nous sommes une quinzaine de membres de Caritas du monde entier réunis à l’hôtel Casa Nova, qui jouxte l’église de la Nativité, le lieu où Jésus est né. Caritas est le deuxième réseau d’aide humanitaire au monde, présent dans pratiquement tous les pays du monde, y compris la Palestine. Il y a certainement de la place à l’auberge pour ce Noël, nous sommes les seuls à y séjourner.
Nous sommes ici pour une réunion de deux jours à l’invitation de Son Éminence le cardinal Pierbattista Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem. Il est le président de Caritas Jérusalem (voir site Web en anglais). Notre partenariat avec Caritas Jérusalem a permis à la générosité et à la solidarité des Canadiennes et des Canadiens de faire une différence dans la vie de tant de personnes souffrantes, en particulier à Gaza et en Cisjordanie. « La mission de Caritas est la mission de l’Église », déclare le cardinal dans son allocution, « elle est l’expression de l’amour de l’Église pour les souffrants et les pauvres ». Il souligne que les activités de Caritas Jérusalem ne se concentrent pas uniquement sur les chrétien·ne·s palestinien·ne·s, mais sur l’ensemble de la communauté palestinienne. « Le cœur de l’Église se trouve en quelque sorte à l’extérieur de l’Église, dans les êtres humains, la communauté et la société qu’elle sert. »
Anton Asfar est le secrétaire général de Caritas Jérusalem et le véritable architecte de notre visite. Le coût de la guerre depuis le 7 octobre a été lourd pour son personnel, en particulier pour celles et ceux qui vivent et travaillent à Gaza. Ils ont été déplacé·e·s, blessé·e·s et deux d’entre eux ont été assassiné·e·s. Il est important pour nous d’être ici en personne plutôt que sur Zoom pour leur exprimer notre proximité et notre soutien. Lors de notre réunion du matin, nous avons observé une minute de silence et prié pour Viola Amash et Issam Abedrabbo, ainsi que pour les membres de leurs familles qui ont été assassinés en même temps qu’eux. « Gaza n’est pas un pays, c’est une réalité détruite », déclare le cardinal Pizzaballa. Le courage du personnel de Caritas Jérusalem qui continue à apporter une aide vitale malgré cette réalité détruite est une véritable source d’inspiration.
An early dose of reality
Tôt le matin, nous recevons un message d’Anton dans le groupe WhatsApp pour le voyage : « ALERTE DE SÉCURITÉ – Vicinité de Bethléem : Un Palestinien a ouvert le feu sur un véhicule de colons israéliens à proximité du point de contrôle des tunnels… Nous évaluerons la situation en début de matinée. En attendant, restez à l’intérieur de Casa Nova jusqu’à nouvel ordre ».
Plus tard dans la matinée, Anton nous informe que la visite sur le terrain de la coopérative artisanale de femmes à Ramallah (un projet d’autonomisation économique que nous soutenons) doit être annulée en raison de la situation sécuritaire. Au lieu de cela, nous passerons la journée à visiter des projets dans le gouvernorat de Bethléem qui ne nous obligeront pas à passer des points de contrôle israéliens ou des « obstacles au mouvement » qui contrôlent les déplacements des Palestiniennes et des Palestiniens. Selon les Nations Unies, il y a 793 de ces obstacles en Cisjordanie, dont 89 sont des points de contrôle tenus par l’armée 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 (voir rapport en anglais).
Bethléem : Des images éloquentes et captivantes
Les projets que nous visitons méritent chacun une histoire à part entière. Cependant, trois images ressortent particulièrement de notre journée. Venez les découvrir…
Un tuyau géant que j’ai dû enjamber plusieurs fois alors que nous visitions un centre d’autonomisation des femmes qui abritait une cuisine commerciale, un jardin d’enfants et un programme de formation professionnelle pour les jeunes handicapés. Le tuyau était relié à un camion-citerne situé à l’extérieur et remplissait le réservoir d’eau du centre. L’eau est achetée par le secteur privé, car l’approvisionnement est épuisé. On nous a dit que l’approvisionnement en eau n’était assuré qu’une fois par mois. L’État d’Israël contrôle plus de 80% des réserves d’eau en Cisjordanie et la disparité entre les colonies israéliennes et les communautés palestiniennes en Cisjordanie est évidente. Lorsque je demande au personnel de Caritas s’il est difficile pour les Palestinien·ne·s d’obtenir des permis pour creuser des puits, ils se contentent de rire.
Un mouchoir en papier que la fille handicapée de Rana Al-Arj court chercher pour elle alors qu’elle pleure en racontant son histoire. Rana est l’une des femmes que nous avons rencontrées dans le camp de réfugié·e·s d’Aida et qui ont reçu une subvention de Caritas pour développer une idée d’entreprise. Elle faisait participer sa fille en créant de petits casse-têtes en bois. Cela l’a incitée à partager ses casse-têtes avec d’autres personnes et à développer ses compétences en matière d’artisanat pour y inclure des décorations, des signets et d’autres articles. Grâce à ce projet, elle a pu augmenter ses revenus de 500 shekels par mois (une somme équivalente à un peu moins de 200 $, ce qui représente environ cinq jours de salaire au taux moyen palestinien).
La guerre n’a fait qu’exacerber les difficultés économiques des Palestiniennes et Palestiniens de Cisjordanie. Plus de 150 000 Palestinien·ne·s qui avaient des permis de travail à l’intérieur d’Israël se les sont vu retirer immédiatement après le 7 octobre.
Une brèche de 225 mètres dans le gigantesque mur infâme que nous traversons pour visiter le couvent des sœurs salésiennes dans la vallée de Cremisan. Nos hôtes l’appellent le mur d’annexion (car 85 % de son tracé se trouve en territoire cisjordanien). La brèche dans le mur d’annexion est le résultat d’une longue bataille juridique que Caritas a soutenue pour empêcher le mur de couper l’école du couvent du monastère salésien voisin et de la communauté qu’ils desservent tous les deux. La brèche symbolise pour moi à la fois les espoirs et les craintes des Palestinien·ne·s. C’est le signe que la résistance est possible, mais aussi fragile. On nous dit que la brèche pourrait être comblée à tout moment et que si c’était le cas, cela signifierait la fin de l’école et plus encore pour la communauté.
Parler d’espérance
Ce ne sont là que trois images. Il y en a des milliers d’autres à découvrir si vous venez à Bethléem. C’est le seul moyen de savoir ce qui se passe – de le voir soi-même – sans les filtres des chambres d’écho des médias. Bethléem a besoin de pèlerins de l’espoir. Elle a besoin de personnes prêtes à prendre le risque de rencontrer d’autres personnes dans ce pays et de contribuer à créer de l’espoir.
Le cardinal Pizzaballa déclare : « Il n’est pas simple de parler d’espérance ici. Tout d’abord, nous ne devons pas confondre l’espérance avec des solutions, des solutions politiques ou des solutions sociales ou économiques. Nous savons très bien que la solution n’est pas proche. Il faut être réaliste. Mais l’espérance n’est pas une solution. L’espérance chrétienne est autre chose. C’est une attitude de vie. L’espoir est le désir de changer la réalité. Le désir de Caritas est toujours là. Nous n’abandonnons pas. Nous n’abandonnerons jamais. Notre amour n’est pas seulement un mot, c’est une action. »
Quel cadeau que d’être témoin de cet amour en action ici à Bethléem en ce Noël. Comme le dit le chant :
Pourtant, dans tes rues sombres brille la lumière éternelle ;
Les espoirs et les craintes de toutes les années se rencontrent en toi ce soir.