
Cette lettre a été publiée en espagnol sur la page Facebook du CEAS. Elle a été traduite et est réproduite ici avec leur autorisation.
Les évêques des vicariats de l’Amazonie péruvienne (CAAAP – Centre amazonien d’anthropologie et d’application pratique) et la Commission épiscopale d’action sociale (CEAS) ont écrit au gouvernement péruvien pour lui faire part de leurs inquiétudes au sujet d’une nouvelle législation qui menace d’imposer des restrictions importantes aux organisations qui accompagnent les communautés appauvries, y compris aux partenaires de Développement et Paix – Caritas Canada.
Les réformes de la loi sur la coopération internationale modifient les lois adoptées en 2002 qui ont créé l’Agence péruvienne de coopération internationale (APCI) qui régit la supervision de l’aide internationale. Le nouveau projet de loi qui a été approuvé par le Congrès élargit les pouvoirs de l’agence d’une manière qui pourrait menacer l’indépendance et le travail des organisations à but non lucratif et leur capacité à défendre les intérêts des communautés en situation de vulnérabilité.
Les évêques soulignent que les réformes proposées pourraient réduire au silence les critiques du gouvernement et limiter le travail de plaidoyer, qu’ils décrivent comme « une tâche prioritaire pour obtenir des politiques publiques en faveur des personnes et des populations les plus vulnérables ». Ce travail de plaidoyer des organisations de pauvres, accompagné par des partenaires comme le CEAS et le CAAAP, est au cœur du travail de Développement et Paix – Caritas Canada pour promouvoir la participation citoyenne afin de faire avancer la justice sociale et les droits de humains pour les communautés appauvries.
Lettre d’un groupe d’évêques du Pérou à leur gouvernement
« Pour défendre les droits humains fondamentaux, il faut du courage et de la détermination. (…) Prions pour ceux qui luttent au péril de leur vie pour les droits fondamentaux sous les dictatures, les régimes autoritaires mais aussi dans les démocraties en crise pour que leur sacrifice
et leur travail donnent un fruit abondant. »
(Pape François, « La vidéo du pape : les droits fondamentaux ». 8.04.2021)
Lima, 25 mars 2025
Madame la Présidente de la République
Monsieur le Président du Congrès de la République
Monsieur le Président du Conseil des Ministres
Monsieur le ministre des Affaires étrangères
Monsieur le ministre de la Justice et des droits humains
Monsieur le Président de la Commission des Affaires étrangères du Congrès de la République
Objet : Nous demandons au pouvoir exécutif d’examiner le projet de loi qui modifie la loi 27692 de l’Agence péruvienne de coopération internationale.
De notre point de vue :
Nous vous écrivons en tant qu’évêques de la Pastorale sociale du Pérou, de la Commission épiscopale d’action sociale (CEAS) et des évêques des Vicariats apostoliques, membres du Centre amazonien d’anthropologie et d’application pratique (CAAAP), les organisations de l’Église catholique qui accompagnent les peuples et les populations les plus pauvres du Pérou. Nous souhaitons exprimer notre profonde préoccupation quant à la récente approbation, par le Congrès de la République, du sceau du projet de loi qui modifie la loi n° 27692 de l’Agence péruvienne de coopération internationale – APCI. Il a été renvoyé au bureau de la présidence de la République pour sa promulgation, à l’égard de laquelle nous demandons au Pouvoir exécutif d’examiner attentivement le projet de loi susmentionné.
Notre préoccupation fondamentale réside dans le fait que celles et ceux qui seront réellement affectés par la norme seront les peuples et les populations, les véritables mouvements populaires, appelés « poètes sociaux » par le Pape François. Sans eux, dit François, « la démocratie s’atrophie, devient un nominalisme, une formalité, perd de sa représentativité, se désincarne car elle laisse le peuple en dehors, dans sa lutte quotidienne pour la dignité, dans la construction de son destin.[1] »
En raison du travail pastoral effectué par l’Église catholique, nous considérons qu’il existe un risque pour la poursuite de l’accompagnement par l’Église et les organisations de la société civile des peuples autochtones, des communautés vulnérables et de leurs organisations, afin de soutenir leur droit d’accès à la justice en cas de violations des droits humains et des droits collectifs.
Les mesures établies par la norme récemment approuvée étendent le contrôle gouvernemental et imposent des restrictions injustifiées aux organisations de la société civile, y compris les organisations religieuses qui travaillent dans des domaines essentiels tels que la promotion, l’éducation et la défense des droits humains et collectifs, de la justice sociale, du bien commun et de l’amélioration des conditions de vie de nos peuples.
La norme approuvée établit le caractère obligatoire de l’inscription à l’APCI. Cependant, cette partie de la loi a été déclarée inconstitutionnelle dans l’affaire N° 0009-2007-PI-TC, datée du 13 septembre 2007.
Également, les modifications introduites exigent l’approbation préalable des projets, programmes et activités financés par la coopération internationale, ce qui impliquerait une censure anticipée des questions à traiter et, par conséquent, un retard possible de l’aide humanitaire en réponse aux urgences sociales.
L’interdiction de « conseiller, assister ou financer, sous quelque forme ou modalité que ce soit, actions administratives, judiciaires ou autres, devant les instances nationales et internationales contre l’État », puisqu’il n’est pas expressément précisé de quelles actions il s’agit, il serait possible que même l’incidence politique soit encadrée dans ladite interdiction, ce qui est une tâche prioritaire à réaliser des politiques publiques en faveur des peuples et des populations les plus vulnérables. Ceci implique également le risque de censure et de sanctions arbitraires, qui pourraient être utilisées pour faire taire les voix critiques concernant les actions de l’État ; affectant ainsi l’exercice de certaines libertés fondamentales, élément primordial d’une démocratie.
Nous pensons que l’État ne peut pas réduire la société civile au silence ; une telle action ne fait qu’affaiblir la démocratie. À cet égard, le pape François déclare que : « Il faut penser à la participation sociale, politique et économique de telle manière « qu’elle [inclue] les mouvements populaires et anime les structures de gouvernement locales, nationales et internationales, avec le torrent d’énergie morale qui naît de la participation des exclus à la construction d’un avenir commun. […] Grâce à eux, un développement humain intégral sera possible, qui implique que soit dépassée « cette idée de politiques sociales conçues comme une politique vers les pauvres, mais jamais avec les pauvres, jamais des pauvres, et encore moins insérée dans un projet réunissant les peuples.[2] »
La norme ainsi approuvée affecte l’exercice de la liberté d’expression, de la liberté d’association, du droit de défendre les droits humains, du droit de contrôle citoyen, en contrôlant l’action de l’État, les droits collectifs des peuples autochtones à la consultation préalable et à la décision sur leurs formes de développement. De cette manière, un contrôle excessif est imposé à la société civile organisée.
Nous sommes préoccupés par le fait que les voix des différents organismes nationaux et internationaux qui ont remis en question les décisions du Congrès la République ne soient pas entendues car ces voix mettent en garde contre le non-respect des engagements internationaux en matière de droits humains.
Par conséquent, nous considérons qu’il est essentiel que votre bureau examine cette version préliminaire du projet de loi modifiant la loi sur l’APCI, puisque, comme nous l’avons déjà dit, les principales personnes affectées par son approbation seront les personnes et les populations les plus vulnérables qui ne disposent pas d’accompagnement et d’appui technique ou juridique.
Nous prions le Seigneur de la vie d’éclairer, par sa vérité et sa justice, les décisions que vous devez prendre dans la recherche du bien commun qui apportera la grandeur à notre nation, dans laquelle tous les peuples se reconnaîtront égaux en dignité et en droits.
Sincèrement,
Mgr. Miguel Ángel Cadenas Cardo, OSA
Évêque d’Iquitos
Président, CAAAP
Mgr. Víctor Villegas Suclupe, OAR
Évêque de Chota
Président, CEAS
Mgr. Alfredo Vizcarra Mori, S.J
Archevêque de Trujillo
Administrateur apostolique de Jaén
Membre de l’Assemblée, CAAAP
Vice-président du CEAS
Mgr. Jesús María Aristín Seco, CP
Évêque de Yurimaguas
Membre de l’Assemblée, CAAAP
Mgr. Martín Quijano Rodríguez, SDB
Évêque de Pucallpa
Membre de l’Assemblée, CAAAP
Mgr. José Javier Travieso Martín, CMF
Évêque de San José del Amazonas
Membre de l’Assemblée, CAAAP
Mgr. Alejandro Wiesse León, OFM
Évêque de Requena
Membre de l’Assemblée, CAAAP
Mgr. Humberto Tapia Díaz
Évêque de Chachapoyas
Mgr. Cristóbal Mejía Corral
Évêque de Chulucanas
Mgr. Carlos Salcedo Ojeda, OMI
Évêque de Huancavelica
Mgr. Gerardo Antón Zerdín, OFM
Évêque de San Ramón
Membre de l’Assemblée, CAAAP
Mgr. David Martínez de Aguirre Guinea, OP
Évêque de Puerto Maldonado
Membre de l’Assemblée, CAAAP
Mgr. Guillermo Elías Millares
Évêque auxiliaire de Lima
Administrateur apostolique de Piura-Tumbes
Mgr. Jorge Izaguirre Rafael, CSC
Évêque de Chosica
Mgr. Guillermo Cornejo Monzón
Évêque auxiliaire de Lima
[1] Pape François, Fratelli Tutti (Octobre 2020), §169 Fratelli tutti (3 octobre 2020) | François
[2] Pape François, Fratelli Tutti (Octobre 2020), §169 Fratelli tutti (3 octobre 2020) | François