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Un chien de garde sans dents prend ses premières bouchées

Le bureau de l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) a lancé des enquêtes sur un géant des articles de sport et une société minière, mais il n’a pas les pouvoirs nécessaires pour effectuer un travail adéquat.

Par Kiegan Irish, animateur pour l’Est et le Nord de l’Ontario

Notre campagne de 2013 Une voix pour la justice a demandé à la mise en place d’un ombudsman pour contrôler les entreprises canadiennes.

Le 11 juillet 2023, j’ai assisté à une conférence de presse au cours de laquelle le bureau de l’Ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) a annoncé le lancement de ses premières enquêtes. Deux entreprises canadiennes, Nike Canada Corp. et Dynasty Gold Corporation, font l’objet d’une enquête pour le recours présumé au travail forcé des Ouïghours au Xinjiang, en Chine.

Comme le savent de nombreux membres de Développement et Paix – Caritas Canada, nous avons plaidé pendant des années en faveur d’un organisme semblable à l’OCRE, notamment dans le cadre de notre campagne Une voix pour la justice de 2013, avant que le gouvernement ne le mette en place en 2018. Peu après, pour protester contre le fait que l’OCRE ne disposait pas de pouvoirs d’enquête adéquats et d’une indépendance suffisante par rapport au gouvernement, nous avons, avec 13 autres organisations de la société civile, démissionné du Groupe consultatif multipartite sur la conduite responsable des entreprises.

Jusqu’à cette annonce, l’OCRE n’avait réalisé « aucun rapport d’enquête à l’intention du ministre fédéral qui supervise ses activités, ce qui soulève des questions quant à la façon dont il remplit son mandat », comme l’a rapporté le Globe and Mail[i] au début de l’année. Lors de la conférence de presse, l’OCRE a annoncé ses premières enquêtes qui, bien que bienvenues, ont renforcé les critiques des groupes de la société civile et des organisations de défense des droits de la personne qui nous avaient poussés à démissionner il y a quatre ans.

L’ombudspersonne, Sheri Meyerhoffer, a répondu aux questions après son annonce, mais uniquement de la part des journalistes enregistré·e·s. La conférence de presse n’a pas permis au grand public de s’interroger sur les actions menées jusqu’à présent par l’OCRE.

Plusieurs questions ont été posées sur l’étendue de l’autorité de l’OCRE et sur la question de savoir si ses pouvoirs sont suffisants pour remplir son mandat. Malgré le ton généralement favorable des questions, Mme Meyerhoffer est apparue sur la défensive. Elle n’a cessé de répéter la formule « faire la lumière » en réponse à plusieurs variantes de la question concernant son autorité. Elle a déclaré que son bureau « ferait la lumière » sur les pratiques de Nike et de Dynasty Gold, et qu’elle « ferait des recommandations » à la fois aux entreprises et au gouvernement canadien. Interrogée sur les conséquences pour les entreprises en cas de conclusions négatives, elle est revenue sur les mêmes points et a ajouté que ses « rapports seront mis à la disposition des investisseurs et des agences gouvernementales ».

On lui a finalement demandé pourquoi elle ne ciblait pas les entreprises canadiennes en Amérique du Sud, où les abus sont nombreux et bien documentés. En réponse, elle a invoqué le « processus rigoureux » de l’OCRE. Elle a déclaré que sur les 15 plaintes reçues par son bureau jusqu’à présent, seulement deux concernaient l’Amérique du Sud, et l’une d’entre elles portait sur l’industrie des vêtements au Honduras (qui, bien sûr, se trouve en Amérique centrale, ce qui rend la discussion quelque peu incohérente).

Bien que certain·e·s journalistes aient remis en question les pouvoirs de l’OCRE, c’est uniquement de cette façon que la question de son indépendance politique a été abordée. Compte tenu de la nature des plaintes faisant l’objet d’une enquête, cette question est particulièrement pertinente. Aucune question n’a été posée sur le lien entre les enquêtes annoncées par l’OCRE et les priorités politiques du gouvernement actuel.

Il est à noter que ces enquêtes se déroulent dans un contexte de rhétorique et d’actions antichinoises croissantes au Canada. Il faut également rappeler que le pays a une longue histoire de racisme antichinois qui remonte à sa fondation. Les violations des droits de la personne du peuple ouïghour doivent à juste titre être dénoncées. Cependant, le Canada ne doit pas isoler la Chine de manière sélective simplement parce qu’il est actuellement opportun, d’un point de vue géopolitique et économique, de la présenter comme un ennemi alors que d’autres violations des droits de la personne, plus répandues et plus anciennes, dans d’autres pays (y compris le nôtre) ne sont pas remises en question.

Le contexte de la discussion sur les enquêtes a servi à limiter la portée de la critique. Il est important de remettre en question les pouvoirs de l’OCRE, mais il est encore plus important de s’assurer que celui-ci ne fonctionne pas pour servir les intérêts politiques de l’État canadien. Dans le cas contraire, il ne sera pas en mesure de demander des comptes aux entreprises qui portent gravement préjudice à nos sœurs et frères du Sud. Le fait que l’OCRE se contente de mener des enquêtes à partir de son mécanisme de plainte n’est pas suffisant lorsque les abus des entreprises canadiennes dans des pays comme le Guatemala, le Pérou, les Philippines et la République démocratique du Congo sont de notoriété publique.

Pour faire une vraie différence, le Canada doit néanmoins, adopter une législation obligatoire sur les droits de la personne et la diligence raisonnable en matière d’environnement, comme nous, ainsi que nos alliés et partenaires, le demandons depuis longtemps.

Comme le note MiningWatch[ii], le Canada est « le siège du plus grand nombre de sociétés minières et le centre prééminent de la finance minière mondiale ». Il n’est donc pas surprenant que le gouvernement du Canada ne semble pas intéressé par une enquête sérieuse sur les abus de ces sociétés. Un OCRE fonctionnel devrait être indépendant du gouvernement et avoir le pouvoir de contraindre les entreprises à produire des documents et à comparaître devant les tribunaux. La manifestation publique de l’absence de ces éléments essentiels, lors de la conférence de presse, n’a fait que justifier nos critiques à l’égard de l’OCRE.


[i] [ii] Article en anglais uniquement

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