Par Françoise Lagacé
Lors de notre Assemblée d’orientation 2022, tenue en juin dernier à Halifax, en Nouvelle-Écosse, la théologienne Françoise Lagacé, en tant que membre du panel traitant des approches visant à promouvoir l’autonomisation des femmes, a donné ce discours portant sur la signification de la pratique de l’Évangile et de l’enseignement social de l’Église pour les questions liées au partenariat et à la synodalité.
1. La pratique de l‘Évangile
Si on se demandait tout simplement comment la pratique de Jésus pourrait éclairer notre vision de l’autonomisation des femmes, je proposerais quelques passages de l’Évangile qui peuvent alimenter notre réflexion. Avez-vous déjà pensé que les plus belles conversations « théologiques », c’est avec des femmes que Jésus les a eues ? Et ce sont toutes de belles histoires d’autonomisation, de capacitation. En voici quelques-unes.
La Samaritaine (Jean 4), une étrangère, pas très recommandable avec ses cinq ou six maris qui, un midi au puits de Jacob, a un bel échange sur Dieu avec Jésus : « Qui est le vrai Dieu, où le rencontrer ? » Et cette femme, méprisée par ses disciples, honnie de son village, est devenue sa partenaire d’Évangélisation auprès d’eux.
La Cananéenne, une autre étrangère, qui ose venir demander la guérison de sa fille, et qui ouvre les yeux de Jésus sur l’universalité, la catholicité, de sa mission : « Même les petits chiens, sous la table, mangent les miettes des enfants. » (Matthieu 15,27)
Marthe, son amie de Béthanie, la sœur de Marie, celle qui écoutait les enseignements de Jésus, comme une vraie disciple : On pourrait bien se demander à quoi a pu servir son bagage de connaissances, sinon à le transmettre à d’autres. Revenons à Marthe, qui à la mort de son frère Lazare, a une solide conversation avec Jésus sur la Résurrection et qui professe sa foi dans les mêmes termes que ceux de Pierre : Tu es le Christ, le Fils de Dieu, Celui qui vient dans le monde. (Jean 11,27)
Et que dire de la femme sans nom accusée d’adultère (Jean 8) ? Ce que je retiens de ce récit, au-delà des mots, c’est la gestuelle, la plus belle chorégraphie de l’Évangile. Imaginez la scène : Jésus se lève, s’approche, s’accroupit pour être au niveau de la femme accusée; il gratte le sol pour qu’elle entende sa présence à ses côtés; deux fois, il répète sa gestuelle. Jésus se compromet au risque d’être lapidé avec la femme, de donner sa vie pour elle. Puis il la relève, lui redonne la parole et la renvoie, debout, digne, aimée comme elle ne l’a jamais été, autonomisée, capable de repartir à neuf. Rendre coupable n’a jamais été la posture du Jésus de l’Évangile.
Finalement de la femme au parfum, celle qui vient sans invitation chez Simon dans l’Évangile de Matthieu : Le geste de cette femme qui verse son précieux parfum sur la tête de Jésus est un véritable geste sacramentel, mais qui déclenche un mouvement d’indignation. Je vous le déclare, leur dit Jésus, partout où sera proclamé cet Évangile, dans le monde entier (jusqu’à nous, à Halifax, ce matin du 18 juin 2022), on racontera aussi, en mémoire d’elle, ce qu’elle a fait. (Matthieu 26,12-13)
On rencontre dans l’Évangile des femmes audacieuses, des femmes de foi qui ont croisé la route de Jésus et se sont senties autonomisées. Chaque fois, cela a fait une différence pour elles comme pour lui.
Il y aurait bien d’autres rencontres à raconter. Mais, ce que nous devons surtout retenir, c’est la relation de complicité, de vis-à-vis, entre Jésus et les femmes de son temps. Ce temps qui n’était pourtant pas si favorable aux femmes. Et nous rappelant que toutes les cultures, toutes les religions ont du mal à intégrer cette relation femme et homme, ce partenariat, encore aujourd’hui.
En ce sens, les gestes de Jésus sont révolutionnaires. Il a inclus les femmes de façon radicale, inimaginable à la vie des hommes. Elles ont participé activement à sa mission, depuis la Galilée jusqu’à la croix, témoins de la Résurrection et de la Pentecôte dans les premières communautés chrétiennes.
Si Jésus avait eu peur du scandale, il n’y aurait pas toutes ces belles histoires à raconter. Alors on pourrait se demander en quel lieu il continue de nous attendre aujourd’hui ? Avec quels partenaires il continue de se compromettre avec nous ?
2. Vers une culture partenariale
Le partenariat, c’est dans notre ADN depuis notre fondation en 1967. Les évêques fondateurs ont voulu Développement et Paix comme une organisation du Peuple de Dieu, un nouveau modèle de leadership collaboratif évêque et laïques dans l’Église.
Comment redonner du souffle à cette collaboration toujours en construction avec la dimension femmes et hommes en Église, un signe des temps aujourd’hui ? Sans oublier nos relations avec nos partenaires des pays du Sud, particulièrement ceux qui travaillent à l’autonomisation des femmes. Comment devenir ensemble cette Église experte en humanité, un savoir-être et savoir-faire fièrement acquis au fil de nos 55 ans, grâce au travail, entre autres, de nos chargés de programmes ? Cette Église, comme nous y invite le pape François, qui a pris l’odeur des peuples et de leurs luttes. Et que cela ne soit pas juste de beaux slogans.
Nous voulons reconstruire ensemble ce PARTENARIAT, entendre la voix des femmes AVEC la voix des hommes, la voix du Nord ET la voix du Sud.
3. La synodalité : le chemin par lequel l’Église existe
Marcher ensemble, c’est très concret : c’est… avoir mal aux pieds ensemble, avoir soif ensemble, avoir faim ensemble, avoir peur ensemble, devant l’inconnu, l’inédit, arriver à l’étape, revoir notre parcours, rompre le pain et la parole ensemble, et célébrer.
Je propose une nouvelle tradition synodale : Chacun, chacune dans nos églises diocésaines, invitons notre évêque à marcher avec nous et à parler ensemble sur la route des joies et des espoirs, des tristesses et des angoisses des hommes et des femmes de notre temps, en méditant un passage d’Évangile ou de l’enseignement social de l’Église. Et cela chaque printemps durant le temps pascal.
Le défi est grand. Comment vivre cette fidélité à l’Évangile, ce partenariat, cette synodalité pour nourrir l’espoir des femmes et des hommes de notre temps, pour qu’ensemble, nous assumions pleinement notre mission avec nos partenaires ? Nous sommes les témoins de l’Évangile, de la présence de Dieu dans le monde. Rappelons-nous, ce n’est pas notre amour que nous donnons, c’est l’amour de Dieu.
4. Dernier repère : l’enseignement social de l’Église
En particulier, je pense aux messages du pape François, unanimement reconnu comme étant inspirant. N’oublions pas que c’est le premier pape qui vient d’un pays du Sud. Voici deux extraits de messages du pape François à l’occasion de rencontres avec les Caritas, dont nous sommes membres.
En juin 2021, pour les 50 ans de Caritas Italie, il a proposé trois voies pour une Église en chemin : partir des laissés-pour-compte, conserver le style de l’Évangile, et développer la créativité.
En 2019, il nous a proposé trois clés : l’humilité et l’écoute, le charisme d’être ensemble, et le courage du renoncement.
Ce que je retiens, c’est le charisme d’être ensemble, d’être et de se sentir l’Église de Jésus. Personne n’a l’ensemble des charismes. Mais chacun, chacune, nous tenons au charisme d’être ensemble. C’est essentiel et c’était le secret des premiers chrétiens et chrétiennes : ils avaient des sensibilités et des orientations différentes, mais il y avait entre eux la force de s’aimer dans le Seigneur.
Donc, pas d’autonomisation sans amour. Pas d’amour sans autonomisation. Maurice Zundel disait qu’il faudrait qu’aucun de nos frères, aucune de nos sœurs, ne puisse se plaindre de n’avoir pas rencontré en nous la tendresse de Dieu.
La solidarité internationale est une belle et grande aventure ! Soyons ensemble cette Église experte en humanité à la manière de Jésus, « comme lui ». Cette Église qui libère et autonomise les femmes à la manière de Jésus. Cette Église accidentée, blessée et même sale pour être sortie pour rejoindre toutes les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’Évangile. Cela nous concerne et nous implique tous et toutes.
Demandons la grâce de prendre le chemin indiqué par la Parole de Dieu. Par Lui, avec Lui et en Lui, En nous et Par nous, que nous soyons ensemble l’Église des femmes avec les hommes, Témoins de la présence de Dieu, à tous les chevets, dans le monde de notre temps.