Il aura fallu dix ans de mobilisation pour créer le poste et quinze mois d’attente pour le combler, mais ce mois-ci, les Canadiennes et les Canadiens ont enfin pu faire connaissance avec Sheri Meyerhoffer, ombudsman canadien pour la responsabilité des entreprises (OCRE). La rencontre s’est déroulée le mardi 10 septembre 2019, lors d’un événement organisé par le nouveau Centre Oblat – Voix pour la justice et l’Université Saint-Paul à Ottawa.
Diplômée en droit de l’Université de la Saskatchewan, Mme Meyerhoffer était précédemment chef de mission pour l’Institut international pour la démocratie et l’assistance électorale au Népal. Auparavant, elle a agi comme lobbyiste et consultante pour l’industrie gazière et pétrolière en Alberta.
Bien que l’étendue du mandat de Mme Meyerhoffer demeure vague — en ce qui concerne, notamment, son pouvoir d’assigner des témoins et d’exiger des documents dans le cadre de ses enquêtes —, l’ombudsman a promis de faire preuve de transparence et de rendre compte régulièrement de son travail. Ses fonctions l’appelleront à enquêter sur les atteintes aux droits de la personne découlant d’activités d’entreprises canadiennes à l’étranger, et ce, dans les domaines de l’environnement, des droits des travailleuses et travailleurs, de la santé et de la sécurité. Elle pourra aussi formuler des recommandations pour remédier à ces atteintes. Mme Meyerhoffer a également dévoilé la structure de son bureau, qui comprendra huit fonctionnaires, ainsi que des stagiaires et des ressources-conseils pour le travail spécialisé. Enfin, elle a précisé que son rôle lui permet d’enquêter même en l’absence de plainte. Elle s’est d’ailleurs engagée à « poursuivre des représentations assidues auprès du ministre » pour que l’OCRE ait le pouvoir de contraindre les entreprises qui font l’objet d’une enquête à produire des documents ou à témoigner sous serment, ce qui permettrait d’approfondir les enquêtes et d’en augmenter la probité. Pour l’instant, le mandat de l’ombudsman ne concerne que les entreprises canadiennes œuvrant à l’étranger dans les secteurs des mines, du pétrole, du gaz et du vêtement, mais le gouvernement prévoit ajouter d’autres industries d’ici un an.
À la suite de la présentation de Mme Meyerhoffer, l’auditoire a eu droit aux réactions d’un panel regroupant Elana Wright de Développement et Paix – Caritas Canada, David Clarry de la société Hudbay Minerals et le professeur Philippe Dufort de l’Université Saint-Paul. Diverses perspectives ont été offertes à savoir si, en créant ce bureau, le Canada a effectivement rehaussé les normes visant au respect des droits de la personne dans l’industrie extractive.
Le professeur Dufort a donné un aperçu des rapports de pouvoir asymétriques entre les multinationales et les populations autochtones ou paysannes affectées par leurs activités. Il a aussi détaillé la participation et l’influence du Canada dans l’élaboration ou la modification de codes miniers de pays d’Amérique latine.
David Clarry, vice-président de la responsabilité sociale de l’entreprise pour Hudbay Minerals, a participé au panel à titre de représentant de l’Association minière du Canada (AMC). Il a présenté les lignes directrices volontaires élaborées par l’AMC et discuté de la présence des entreprises canadiennes dans le secteur minier à l’international.
Pour sa part, Elana Wright, chargée du programme de plaidoyer et de recherche à Développement et Paix – Caritas Canada, a fait valoir le leadership du pape François et de l’Église en matière de justice minière. Elle a également décrit les efforts de plaidoyer considérables et soutenus menés par les membres de Développement et Paix, les organisations de la société civile, les syndicats, les mouvements sociaux et divers partenaires autour du monde, ainsi que leurs réactions à la création d’un bureau d’ombudsman.
Les attentes envers l’ombudsman Meyerhoffer sont très hautes, autant de la part des Canadiennes et des Canadiens qui ont réclamé ce rôle pour des communautés et des organisations de justice sociale basées dans les régions du monde touchées par l’industrie minière. Après tout, l’ombudsman a été nommé à l’issue d’une décennie de mobilisation pour obtenir une voix pour la justice qui défendrait les intérêts de communautés touchées par des dommages environnementaux, de la violence et des déplacements forcés en raison d’activités d’entreprises minières canadiennes.
La création du bureau de l’OCRE a été annoncée par l’ancien ministre du Commerce international François-Philippe Champagne en janvier 2018. Cependant, depuis l’arrivée de son remplaçant James Carr, en tant que ministre de la Diversification du commerce international en août 2018, le processus a connu de nombreux ratés et retards, tandis que le mandat demeure imprécis.
Comme bien d’autres organisations du Canada et du monde, Développement et Paix s’est dit déçu de voir le gouvernement briser son engagement pour la création d’un bureau indépendant doté d’un grand pouvoir d’enquête. Après de nombreuses années de mobilisation ici et ailleurs, on voit mal comment le mandat actuel de l’ombudsman se distingue favorablement du précédent rôle de conseiller en responsabilité sociale des entreprises (RSE), largement critiqué pour son inefficacité.
En juin 2019, Elana Wright, représentante de Développement et Paix, a démissionné du Groupe consultatif multipartite en guise de protestation, en compagnie de tous les autres représentants de la société civile et du monde syndical. Ce groupe consultatif, chargé d’aviser le ministre, avait été mis sur pied par le gouvernement au moment de son annonce concernant l’OCRE.
Puis, le 10 septembre dernier, Développement et Paix a reçu une lettre du ministre Carr, l’informant de l’adoption d’un décret plus vigoureux. Le ministre indique également qu’il a entamé une démarche pour mettre en place « un cadre juridique distinct pour le bureau, qui lui donne le pouvoir d’exiger des documents, d’assigner des témoins et de contraindre d’autres formes de témoignages ». Toutefois, il semble peu probale que cette nouvelle promesse se concretise avant les prochaines élections fédérales du 21 octobre. Soulignons également que la lettre n’aborde pas le fait que l’OCRE n’est pas indépendant et demeure un fonctionnaire public, se rapportant au ministre de la Diversification du commerce international.
Seul l’avenir nous dira si le nouvel ombudsman pourra contraindre les sociétés canadiennes à respecter les droits de la personne à l’étranger et, par le fait même, si le Canada se positionnera comme chef de file ou dernier de classe en matière de responsabilité sociale et de droits humains.