En 2015, le pape François signait son encyclique Laudato Si’, qui convie toute personne de bonne foi à faire une conversion écologique et à prendre soin de notre maison commune. Pour renouveler cet appel, nous avons organisé un webinaire en collaboration avec la Conférence religieuse canadienne (CRC) pour réfléchir sur l’importance de Laudato Si’ cinq ans plus tard, particulièrement dans cette période de pandémie. Modéré par Sabrina Di Matteo, directrice adjointe, formation continue avec la CRC, les panélistes suivantes ont offert des réflexions percutantes :
- Josianne Gauthier, Secrétaire générale, CIDSE
- Brenda Arakaza, Représentante jeunesse francophone, Développement et Paix – Caritas Canada
- Soeur Pierrette Bertrand, animatrice générale, Oblates Franciscaines de Saint-Joseph
Si vous avez manqué le webinaire, vous pouvez le visionner ici :
Nous vous offrons aussi la réflexion intégrale de Josianne Gauthier, Secrétaire Générale de la CIDSE, une alliance d’organismes catholiques de solidarité internationale incluant Développement et Paix.
Que dit Laudato Si’? Un document révolutionnaire qui n’a rien inventé. Mais ce texte, qui mérite d’être lu et relu tellement il est riche en références et réflexions et questions difficiles, éclaire et nous donne une clé de lecture sur le monde actuel tout en traçant un chemin pour un avenir plus juste sur cette Terre.
Introduction
Je suis canadienne, québécoise, de Montréal et pendant 17 ans j’ai fait partie de l’équipe à Développement et Paix. Il y a trois ans, j’ai emmené ma famille à Bruxelles pour prendre la direction de la CIDSE – un réseau d’organisations catholiques de justice sociale et de solidarité internationale dont fait partie Développement et Paix. Ensemble, nous faisons du plaidoyer international, fondé sur nos valeurs chrétiennes, sur l’enseignement social de l’Église, pour défendre la dignité humaine et la planète contre des politiques d’exploitation et de violence. Nous travaillons pour la justice écologique, les droits humains, pour la souveraineté alimentaire, contre les violations causées par l’extraction minière et pour l’accès à la terre.
Pour le renouveau et la guérison de notre maison commune
Laudato Si’ et la pandémie COVID-19
Le monde a mal. La Terre souffre et nous avec elle. Depuis bientôt trois mois, presque l’ensemble de la population de la planète est en confinement. En arrêt. La Terre s’est mise en congé maladie forcé et a attiré notre attention collective sur une crise profonde que nous vivions toutes et tous sans vouloir l’avouer. Nous avons pleuré. Nous avons perdu des êtres chers à cette maladie, nous avons eu terriblement peur et nous avons par moments été enragés par des décisions et comportements irresponsables.
Mais… nous, les privilégiés de la Terre, si nous avons souffert cet isolement, ces deuils, ces craintes, ce n’est qu’une partie de la souffrance qui ravageait la Terre. Cette crise sanitaire – cette pandémie – qui semblait surgir du néant est en effet intimement liée à d’autres crises. La crise écologique, la crise humaine, politique, la pauvreté, l’inégalité et notre relation abusive envers la Terre, ses ressources et surtout envers nos sœurs et frères dans les pays moins riches. Car ce sont ces pays, leurs populations et leurs ressources qui nous nourrissent, qui font rouler ce système confortable dans lequel on vit, notre économie, notre système alimentaire et nos chaînes de production autour du monde. Nous avons essentiellement divisé le monde en deux. Entre ceux qui produisent et ceux qui consomment.
Et tout d’un coup, nous avons vécu la fragilité et l’absurdité extrême de notre mode de vie. Nous avons vu comment ces chaînes et chemins de commerce et d’exploitation ont permis au virus de voyager à la vitesse de l’éclair et se répandre sur la Terre entière. Ensuite, nous avons constaté autre chose : l’injustice bien camouflée dans nos propres sociétés. L’inégalité des chances, d’accès aux soins, la précarité financière de certains, les maladies qui sont plus présentes chez les plus pauvres et qui les rendaient plus vulnérables. L’injustice de notre économie qui fait que nous dépendons de personnes à faible revenu dans des conditions inacceptables – même chez nous – pas juste à l’autre bout de la Terre, pour maintenir notre fausse impression de pays développés…. Nous avons vu comment nous traitons nos personnes âgées, et nos enfants. Nous avons vu comment nous traitons les immigrants et sans abris… Notre culture du déchet. Nous avons vu tout cela. Ce n’est pas la pandémie qui a causé cette souffrance. La pandémie a exposé cette souffrance. Et après la tristesse, nous avons peut-être été habités par la honte et la remise en question… et le dégoût et l’angoisse.
Tout est interrelié. C’est ce que nous venons de vivre jusque dans nos maisons, jusque dans notre quotidien confiné. Nous sommes tous interdépendants les unes et les uns des autres. Tout geste posé dans un coin de la planète a des répercussions rapides et parfois catastrophiques à l’autre bout du monde. Ce que nous faisons à la Terre, comment nous vivons, comment nous consommons, comment nous voyageons, nos relations humaines, nos relations politiques, nos relations économiques… tout est interrelié. Laudato Si’. Nous venons de comprendre en temps réel, tout ce qui est écrit dans Laudato Si’.
Quelle occasion extraordinaire d’apprendre, de tirer des leçons, de repenser notre monde et de nous convertir.
Voilà l’invitation, parce qu’en fait si Laudato Si’ nous donne des clés de lecture pour notre monde, il s’agit également d’une occasion de se poser. De prendre cette pause. De ralentir et d’écouter et repenser, reprendre conscience de l’essentiel, pas pour nous limiter ou nous priver (ce carême sans fin auquel fait référence le Pape François dans Evangelii Gaudium), mais pour nous épanouir ensemble. Pour comprendre enfin que dans la maison commune, ça ne sert à rien que certains seulement puissent vivre dans la dignité, si c’est aux dépens des autres qui souffrent. Tout cela revient nous rattraper tôt ou tard. Celles et ceux qui souffrent ce sont les personnes, mais aussi les espèces, animales et végétales. Nous n’avons pas le droit, comme disait le tweet du Pape François d’hier (à l’occasion de la journée de la biodiversité). Nous n’avons pas le droit d’épuiser les ressources comme si on vivait sur une planète sans limites. Qui a cru qu’on avait le droit de se comporter ainsi? Il nous faut un éveil profond de conscience et une transformation – radicale de nos systèmes et institutions.
Dans Laudato Si’, si les premiers chapitres sont dédiés au diagnostic (voir), et la seconde section nous amène à l’analyse et la réflexion (juger), les derniers paragraphes sont dédiés à la prescription – à l’action. Et l’action est politique. Il ne faut en avoir peur. L’être humain est politique. Ce sont les règles, les normes, les institutions humaines que nous créons pour qu’il y ait de l’ordre, pour qu’il y ait de la justice. Mais quand ces institutions et ces normes ne servent pas la dignité humaine et l’intégrité écologique – il faut tout simplement les changer. Nous en sommes là. L’heure est venue et nous en avons la responsabilité. Nous sommes une communauté et nous devons commencer à réfléchir et agir de cette façon avec comme principes guides : la dignité, la justice, le bien être de toutes et tous, la solidarité et la suffisance. C’est énorme… je le sais. Mais pourtant, c’est si clair… Il nous faut une transformation profonde de nos cœurs et de nos esprits. Une conversion.
J’ai eu l’immense privilège, la chance de participer au Synode sur l’Amazonie, organisé à Rome en octobre de l’an dernier. Après avoir écouté les voix venues directement de l’Amazonie, cette région si emblématique (qui fait vivre une bonne partie de la planète par ses forêts, ses terres, ses espèces…), nous avons un aveu à faire. Nous, les peuples d’origine européenne… avons promu et largement bénéficié d’un système économique et politique injuste et abusif. Cette blessure du colonialisme, sur laquelle nous avons ensuite bâtit le capitalisme et tous les traités internationaux d’échange et de commerce… toujours avec comme fondation, une relation d’exploitation des ressources et des autres peuples… ce modèle est un échec. On ne peut pas le « réparer » tout simplement. Il faut le déconstruire et reconstruire, imaginer ensemble autre chose. Après notre conversion, pour sortir de cette crise, accentuée et exposée par la COVID, nous devons nous repentir et rebâtir un monde autrement et ensemble.
Mais nous ne pouvons surtout pas nous complaire ou nous résigner. Il y a du travail à faire, il faut être vigilant. Nous avons vu des gestes extraordinaires d’humanité, de générosité et de courage durant cette crise, mais nous avons aussi vu le pire chez l’être humain et chez certains leaders politiques. Les droits humains violés avant la crise, l’ont été d’autant plus durant la crise. Des régimes autoritaires se sont permis des ravages. Au Brésil, aux États-Unis, on sait que des peuples autochtones et les communautés les plus pauvres sont menacés par la pandémie et que par négligence ou intention, l’État ne leur vient pas en aide.
L’exploitation des forêts – en Amazonie ne s’est pas ralentie, l’exploitation des mines n’a presque pas ralenti. Et qui n’a pas vu les dégâts déjà causés par les masques et gants de plastique non biodégradables? La relance économique à tout prix? Au prix d’un recul écologique, en droits humains? Non. Réparer, rebâtir, guérir va prendre l’engagement de tout le monde et nous avons un rôle particulier à jouer. Nous… l’Église… nous les Chrétiennes et Chrétiens, nous la société civile. Dans le document final du Synode sur l’Amazonie, Pape François nous rappelle que défendre les droits humains n’est pas optionnel pour les Chrétiens. C’est notre foi qui nous y oblige. Chacune et chacun de nous peut et doit y prendre part, car sans notre action, notre foi, Laudato Si’ reste un document très joli et inspirant – certes, mais c’est à nous de lui donner vie par notre action.
On commence maintenant notre déconfinement. Comment allons-nous le vivre? À la lumière de Laudato Si’? Je l’espère… je nous le souhaite. En commençant par le plus important, par les relations, par notre réalisation que nous avons besoins les uns des autres. Dans la reconnaissance, dans la joie, dans l’espérance et dans la célébration et dans l’AMOUR mais aussi en agissant – en encrant chacun de nos choix, politiques, économiques et sociaux dans ce rêve commun pour le bien commun.