Par Dalia Qumsieh, fondatrice et directrice de l’Initiative Balasan pour les droits humains – Palestine


Dalia Qumsieh est diplômée en droit, en droit international et en administration internationale d’universités palestiniennes et françaises. Par le biais de la défense juridique, de la recherche et de la planification politique, son organisation remet en question les politiques injustes et met en lumière leurs effets sur le peuple palestinien, en particulier sur les communautés chrétiennes historiques de Terre Sainte (voir site Web en anglais). Avant de fonder Balasan, elle a travaillé comme conseillère principale en matière de plaidoyer juridique pour diverses organisations palestiniennes de défense des droits humains. Dalia a été paneliste à un webinaire sur la Palestine organisé par Développement et Paix – Caritas Canada au début de l’année. Les opinions exprimées dans cet article sont les siennes.
Alors que nous approchons de Pâques en Terre sainte, qui a apporté le christianisme au monde, la Palestine reste plongée dans une souffrance sans précédent et insondable. Les personnes chrétiennes palestiniennes – la plus ancienne communauté chrétienne – ne peuvent pas célébrer Pâques pour la deuxième année depuis les événements du 7 octobre 2023 et la guerre qui s’en est suivie à Gaza, ainsi que l’intensification des atrocités en Cisjordanie.
Même avant la guerre de Gaza, il n’était pas facile – voire impossible – pour les personnes chrétiennes palestiniennes de célébrer la Semaine sainte à Jérusalem. La recrudescence des atrocités au cours des 18 derniers mois a exacerbé leurs souffrances et volé toute joie et tout espoir à cette sainte célébration.
Presque tout au long de l’histoire chrétienne, Bethléem et Jérusalem sont restées des villes spirituellement jumelles et la pierre angulaire de la foi chrétienne. Néanmoins, Israël a physiquement séparé Bethléem, le site de la Nativité, de Jérusalem, le site de la Résurrection. Depuis plus de trente ans, les barrières géographiques d’Israël (points de contrôle et mur d’annexion) et les restrictions administratives (systèmes discriminatoires de cartes d’identité et de permis) ont réduit la liberté des Palestiniennes et des Palestiniens à l’intérieur de Jérusalem et l’accès à cette ville, avec toute sa signification spirituelle, religieuse et historique. Pourtant, la ville est facilement accessible à toute la population israélienne, même à celles et ceux qui résident illégalement dans les colonies du territoire palestinien occupé, en violation flagrante du droit international.
Pâques en Terre Sainte : pas d’accès à Jérusalem
Dans le meilleur des cas, une personne chrétienne palestinienne de Bethléem souhaitant se rendre à Jérusalem à l’occasion des fêtes de Pâques doit demander un « permis » à l’armée israélienne. Ce permis est limité dans le temps et peut être refusé ou révoqué arbitrairement, à tout moment. Dans le cadre du processus de demande dégradant, les Palestinien·ne·s doivent soumettre des informations personnelles et des données téléphoniques par le biais d’Al-Munaseq, une application mobile développée par l’armée israélienne. Les réponses aux demandes sont souvent automatisées, sans possibilité de recours.
Si un permis est accordé, les Palestinien·ne·s doivent franchir un point de contrôle désigné, en endurant humiliations et dangers, juste pour atteindre Jérusalem. Là, d’autres difficultés les attendent, notamment les lourdes restrictions imposées par la police israélienne aux célébrations religieuses et les fréquentes agressions contre les fidèles, documentées année après année (voir article en anglais). Ce système éloigne les personnes chrétiennes autochtones de leurs lieux saints, érode leurs traditions séculaires et limite leur capacité à pratiquer leur foi. Ainsi, de nombreuses Palestiniennes et Palestiniens de Bethléem, bien que vivant à proximité, n’ont jamais célébré Pâques à Jérusalem. En revanche, des pèlerins du monde entier peuvent célébrer Pâques à Jérusalem et le font.
Pâques en Terre Sainte : quoi fêter ?
L’impossibilité d’accéder à Jérusalem n’est pas la seule chose qui gâche la joie de Pâques en Terre Sainte. L’atroce guerre d’Israël à Gaza a tué plus de 50 000 Palestiniennes et Palestiniens, en a blessé plus de 111 000 (voir rapport en anglais), en a déplacé des millions et a détruit toute la bande de Gaza. Une politique délibérée de privation de nourriture a fait planer la famine sur la bande de Gaza. Les personnes chrétiennes palestiniennes de Gaza ont été tuées alors qu’elles cherchaient refuge dans leurs églises. Leurs églises, dont l’église Saint-Porphyre, l’une des plus anciennes du monde, ont été bombardées et détruites. En outre, des institutions affiliées à l’église, dont un grand hôpital, ont également été bombardées et détruites, tuant des centaines de patient·e·s et de réfugié·e·s.
Alors que la guerre qui fait rage à Gaza retient l’attention du monde entier, Israël cherche depuis des décennies à annexer la Cisjordanie. La Cisjordanie est ainsi devenue une zone fortement militarisée, où la construction de colonies s’est accélérée, où les colons se sont livrés à des violences et où les déplacements sont soumis à de sévères restrictions. Les incursions militaires israéliennes dans les villes palestiniennes se sont multipliées, avec de fréquents raids nocturnes, des arrestations massives et des rapports faisant état de personnes détenues soumises à des tortures allant parfois jusqu’à la mort.
Bien avant le 7 octobre, l’année 2023 a été une année record de violations des droits humains en Cisjordanie en termes de cas d’homicides illégaux de Palestiniennes et Palestiniens et d’expansion illégale des colonies. Depuis, les violations se sont considérablement aggravées. Les Nations Unies ont enregistré une accélération sans précédent de la confiscation des terres et de l’expansion des colonies (voir rapport en anglais). Certaines nouvelles colonies ont même été créées à titre de punition collective ou en représailles à la reconnaissance internationale du statut d’État palestinien. Par exemple, des parties de la vallée d’Al-Makhrour, un site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO et l’un des derniers espaces verts de Bethléem, ont été saisies pour l’expansion des colonies. Depuis le début du conflit actuel à Gaza, les autorités israéliennes ont confisqué 52 000 dunams (plus de 12 800 acres) de terres palestiniennes en Cisjordanie occupée (voir article en anglais).
Les déplacements en Cisjordanie sont désormais fortement limités, avec près de 900 points de contrôle militaires et barrières qui entravent tous les aspects de la vie quotidienne. Les démolitions israéliennes de maisons et de structures palestiniennes se sont multipliées par rapport aux années précédentes, et de nouvelles mesures facilitant et accélérant les démolitions ont été adoptées. Profitant de la guerre à Gaza, les colons israéliens, soutenus et protégés par l’armée, ont intensifié leurs efforts pour étendre les colonies et expulser les Palestiniennes et les Palestiniens, lançant en moyenne quatre attaques par jour. Ces attaques violentes, qui impliquent des démolitions de maisons, des incendies criminels et des saisies de biens, ainsi que la destruction de l’économie rurale qu’elles ont engendrée, ont déplacé de force des milliers de Palestinien·ne·s de leurs communautés. Pendant ce temps, le ministre israélien de la Sécurité nationale a ouvertement facilité l’armement des colons, ce qui a conduit à la formation d’au moins 800 nouvelles milices armées (voir article en anglais).
Plus de 10 000 personnes palestiniennes arrêtées depuis le 7 octobre 2023 sont emprisonnées dans des conditions horribles, et des témoignages de torture extrême sont apparus. Dans des villes comme Jénine et Tulkarem, les opérations militaires israéliennes ont déjà entraîné la mort de dizaines de Palestiniennes et Palestiniens, la destruction de 100 maisons et d’infrastructures essentielles, et le déplacement forcé de 40 000 personnes.
L’annexion : de facto et de jure
Cette escalade reflète une poussée accélérée vers l’annexion, qui est strictement interdite par le droit international. Si la politique d’Israël est depuis longtemps une politique d’annexion de facto, les développements récents suggèrent une évolution vers l’officialisation de l’annexion. De nombreux projets de loi ont été présentés pour accélérer le processus, dont un qui permet aux Israélien·ne·s d’acheter directement des terres en Cisjordanie, à l’intérieur de ce qui est reconnu comme un territoire occupé, ce qui est manifestement illégal. Cette loi renforcerait le contrôle des colons sur les terres palestiniennes, rendant les déplacements irréversibles.
Un autre projet de loi israélien propose d’annexer 119 000 dunams (près de 30 000 acres) de terres sur 29 colonies à Bethléem, Ramallah et Jéricho, avec 180 000 colons (voir article en anglais). En plus de spolier les Palestinien·ne·s de leurs terres et de leurs ressources et de détruire leur économie, de telles mesures compromettent la viabilité d’un État palestinien. Elles n’ont qu’un seul but : finaliser l’annexion.
Qu’en est-il du droit international ?
Les politiques menées par Israël dans l’ensemble du territoire palestinien occupé sont illégales au regard du droit international. Des preuves méticuleuses recueillies au fil des décennies, ainsi que de nombreux organes des Nations Unies et des ONG internationales, sont parvenues à la même conclusion. Actuellement, Israël est accusé de génocide devant la Cour internationale de justice (CIJ) et la Cour pénale internationale a lancé des mandats d’arrêt contre son premier ministre et son ancien ministre de la défense pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Dans son avis consultatif de juillet 2024, la CIJ avait également conclu que l’occupation par Israël des territoires palestiniens, y compris la Cisjordanie, Jérusalem-Est et la bande de Gaza, était illégale et devait cesser immédiatement. Elle a également souligné la responsabilité de la communauté internationale et les mesures qu’elle doit prendre à cette fin, notamment en exerçant une pression diplomatique et juridique sur Israël pour qu’il se conforme au droit international.
Israël persiste dans son oppression sans précédent en toute impunité parce que le monde ne parvient pas à faire respecter le droit international, la morale et les droits humains fondamentaux. Il ne s’agit pas d’idéaux abstraits. Leur violation ne cause pas seulement la misère en Palestine, mais menace également la justice et la stabilité partout dans le monde en enhardissant celles et ceux qui recherchent le pouvoir absolu.
La précarité de la présence chrétienne
Comme tous les Palestiniennes et Palestiniens qui luttent pour rester dans leur patrie, les chrétien·ne·s de Cisjordanie vivent sous l’oppressante occupation israélienne qui contrôle tous les aspects de leur vie et les prive de leurs droits fondamentaux, de leur sécurité, de leur dignité et de leur liberté.
La plus ancienne communauté chrétienne du monde paie un lourd tribut à certaines idéologies erronées. Le fait de fonder le soutien inconditionnel à Israël sur la croyance chrétienne, par exemple, permet directement de commettre des injustices à l’encontre de toutes les personnes palestiniennes, y compris les chrétiennes. Ce raisonnement, souvent profondément raciste par inadvertance, nuit aux chrétien·ne·s palestinien·ne·s et menace d’érosion la présence chrétienne séculaire en Terre sainte.
Pour les personnes chrétiennes palestiniennes, cette idéologie toxique signifie la poursuite des systèmes d’oppression qui les déracinent de force de leurs terres. Cela signifie qu’elles ne peuvent pas célébrer Pâques à Jérusalem, qu’elles sont confrontées à des attaques contre leurs églises et leur clergé, et qu’elles voient leurs traditions sacrées et leurs communautés disparaître. Elle a justifié la destruction d’anciens sites chrétiens, le déplacement de familles qui vivaient là depuis des générations et la perte des derniers espaces libres de Bethléem au profit de colonies en expansion.
Pâques en Terre sainte : une occasion pour la population chrétienne canadienne de prendre position
Les communautés religieuses du Canada ont la responsabilité morale de défendre la légitimité internationale et de veiller à ce que leurs églises s’alignent sur le droit international.
Pour les personnes chrétiennes du monde entier, Pâques représente le renouveau, l’espoir et le triomphe de la justice sur la souffrance. Cependant, pour les personnes chrétiennes palestiniennes, c’est devenu une période d’effacement et d’exclusion. Les responsables religieux et les communautés religieuses doivent s’élever contre cette injustice et les idéologies qui la favorisent. Les églises, les congrégations et les organisations chrétiennes doivent plaider pour le respect de l’humanité et du droit international.
Nous, personnes chrétiennes de Terre Sainte, vous exhortons, en tant que personnes de foi et de conscience, à veiller à ce que les représentant·e·s que vous élirez lors des prochaines élections respectent l’engagement du Canada en faveur des droits humains et soutiennent le consensus juridique et politique international qui s’oppose aux colonies illégales et à l’annexion.
Faites de cette fête de Pâques un moment non seulement de réflexion, mais aussi d’action. L’occupation israélienne de la Palestine est illégale et doit être démantelée. C’est maintenant qu’il faut défendre la justice.