Par Minaz Kerawala, Conseiller en communication et relations publiques

Dès son entrée en fonction le mois dernier, le président Donald Trump a annoncé son intention de réduire le financement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID). Cette intention, qui a pris de l’ampleur sous l’impulsion du milliardaire Elon Musk, s’est concrétisée dimanche dernier par le licenciement brutal de 2 000 employé·e·s de l’USAID et le congédiement de presque tous les autres.
Bien qu’il appartienne aux citoyen·ne·s de la plus ancienne démocratie du monde de déterminer s’ils trouvent acceptable que leur président et un oligarque non élu règnent ainsi par décret, la décision a des implications mondiales. En tant qu’acteur mondial, Développement et Paix – Caritas Canada se joint donc à Caritas Internationalis pour condamner fermement cette « décision irréfléchie ». Nous partageons l’inquiétude que « la façon impitoyable et chaotique dont cette décision insensible est mise en œuvre menace la vie et la dignité de millions de personnes » et qu’elle « sapera des décennies de progrès ».
Les coupures à l’USAID largement dénoncées
L’attaque contre l’USAID a été critiquée dans de nombreux milieux. Coopération Canada, une coalition nationale d’ONGs, a fait remarquer qu’il y a « déjà des conséquences catastrophiques sur les communautés du monde entier ». De même, Médecins sans frontières a prévenu que « le gel de l’aide étrangère des États-Unis entraînera une catastrophe humanitaire ».
Le secrétaire général de l’ONU, M. António Guterres, s’est dit préoccupé par ce gel et a appelé à des exceptions humanitaires. Le Dr Tedros Adhanom Ghebreyesus, chef de l’Organisation mondiale de la santé, a déclaré que ces réductions menaçaient la réponse sanitaire mondiale (voir article en anglais). Son point de vue est partagé par le professeur Richard Horton, qui a écrit dans son récent éditorial dans la célèbre revue médicale The Lancet (le voir en anglais) : « L’assaut de Trump contre l’OMS, l’USAID et la recherche médicale menace de faire s’effondrer l’ensemble de l’architecture de la santé mondiale. »
Plus près de nous, une porte-parole du ministre canadien du développement international a écrit qu’Ottawa était « profondément préoccupé » et a déploré que « la perte du leadership et des ressources de l’USAID représente un recul dangereux ».
Ces appréhensions ne sont pas hypothétiques. D’ores et déjà, notre organisation sœur américaine et collègue de Caritas, Catholic Relief Services, a dû réduire ses programmes et licencier du personnel (voir article en anglais). Notre partenaire de longue date, le Jesuit Refugee Service, a signalé que des projets destinés à 100 000 personnes réfugiées dans neuf pays ont été directement touchés.
L’aide américaine à l’étranger est importante
L’aide étrangère des États-Unis a été la cible d’une longue et corrosive campagne de désinformation. Le professeur Paul Krugman, lauréat du prix Nobel d’économie, a réfuté les accusations de gaspillage de ressources en notant que le budget de 40 milliards de dollars de l’USAID ne représentait que 0,66 % du total des dépenses fédérales pour 2023 (voir article en anglais). À titre de comparaison, les États-Unis auraient dépensé 17,9 milliards de dollars en aide militaire à Israël au cours de la seule année qui a suivi le 7 octobre 2023 (voir publication en anglais), et la somme astronomique de 8 000 milliards de dollars pour la guerre depuis le 11 septembre 2001 (voir article en anglais).
Cependant, les États-Unis sont également le plus grand donateur au monde, ayant fourni 47 % de l’ensemble de l’aide humanitaire l’année dernière. Selon le Pew Research Center, l’USAID a déboursé 60 % de l’aide américaine à l’étranger, soutenant des programmes gérés par des milliers d’agences gouvernementales étrangères, de groupes à but non lucratif, d’organisations internationales et d’universités dans 177 pays (voir article en anglais).
La Brookings Institution a noté que l’aide étrangère américaine, qui bénéficie d’un large soutien public, réduit la pauvreté, la mortalité maternelle et les maladies, augmente l’espérance de vie, contribue à la sécurité nationale des États-Unis, fait progresser les intérêts économiques des États-Unis et des pays bénéficiaires, promeut les valeurs américaines fondamentales et aide à endiguer les migrations forcées (voir analyse en anglais).
Il n’est donc pas étonnant que la fermeture de l’USAID soit perçue comme une menace pour les intérêts américains (voir article en anglais).
Pourquoi l’aide internationale ?
L’affirmation brutale qu’aucun pays ne mérite d’aide parce que tous les pays ont des citoyennes et des citoyens productifs est minée par le fait que les personnes expatriées des pays appauvris envoient plus d’argent dans leur pays d’origine que l’ensemble de l’aide publique au développement et des investissements directs étrangers.
Il est encourageant de constater que de nombreux bailleurs de fonds nationaux continuent de croire en l’aide internationale. Par exemple, l’Agence française de développement affirme que l’aide publique au développement (APD) « initie des logiques de développement vertueuses et crée… un effet de levier qui décuple les impacts », et peut contribuer jusqu’à un pourcentage supplémentaire de croissance économique annuelle dans les pays bénéficiaires sur le long terme.
Les faits confirment cet optimisme. Une analyse (la voir en anglais) de 36 années de données provenant de 140 pays a révélé que pour chaque augmentation de 1 % de l’aide à la santé, l’espérance de vie augmentait de 0,24 mois et la mortalité infantile diminuait de 0,14 pour 1 000 naissances vivantes plus rapidement. Les recherches montrent également de manière décisive que l’octroi d’une aide étrangère renforce la réputation des pays donateurs à l’étranger (voir article en anglais), en particulier en ce qui concerne l’aide à la santé (voir article en anglais), et même parmi les pays qui n’en bénéficient pas (voir article en anglais).
Le Canada a un rôle à jouer
Le Canada a une riche histoire en tant que donateur efficace. Coopération Canada a noté qu’au cours d’une période de 30 ans pendant laquelle il a reçu 1,5 milliard de dollars d’aide du Canada, le Vietnam a connu un tel développement économique que le Canada réalise aujourd’hui, en deux ans de commerce avec ce pays, des gains supérieurs à l’aide qu’il lui a fournie au cours des 25 dernières années.
En 2023, les dépenses d’APD du Canada, d’un montant de 7,97 milliards de dollars, représentaient 0,38 % de son revenu national brut. Ce chiffre est à peine supérieur à la moyenne des dépenses des membres du Comité d’aide au développement de l’Organisation de coopération et de développement économiques et bien moins que l’objectif de 0,7 % fixé par une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies en 1970.
Heureusement, dans le budget 2024, le gouvernement du Canada s’est engagé à « augmenter l’aide internationale chaque année jusqu’en 2030 » dans le but d’ « assurer le respect des valeurs canadiennes dans le monde. » À son crédit, le gouvernement a également compris l’importance d’ « aider à soulager les plus vulnérables, à prévenir l’aggravation des crises, ainsi qu’à promouvoir un avenir plus inclusif pour tous » et que « la stabilité de la démocratie canadienne et de la démocratie dans le monde en dépend. »
En avril dernier, nous nous sommes joints aux groupes de la société civile canadienne pour saluer cet engagement et encourager le gouvernement à profiter de sa prochaine présidence du G7 pour inciter d’autres nations « à inverser le déclin mondial de l’aide publique au développement ».
Il est maintenant encore plus urgent que le Canada augmente le financement de l’APD et convainque ses pairs de faire de même, qu’il s’engage dans la diplomatie pour pousser les États-Unis à revenir sur leurs réductions de l’aide étrangère et qu’il honore ses engagements, quel que soit le changement de gouvernement.
La recherche montre que, ce faisant, « le Canada peut préserver ses intérêts économiques tout en renforçant son engagement en faveur de l’équité et de la stabilité mondiales » (voir article en anglais).
Toutefois, le plus important est l’impératif moral énoncé par le pape François : « La richesse – ne l’oublions pas – est une responsabilité. Je demande donc que l’on soit toujours attentif à ne pas négliger les nations les plus défavorisées, et même qu’on les aide à se relever de leurs conditions d’appauvrissement. »