Pérou : Un appel à travailler pour le bien commun

Ce communiqué a été publié en espagnol par notre partenaire péruvien, la CEAS. Il est reproduit ici avec leur autorisation.

Introduction par Mary Durran, chargée de programmes pour le Pérou

La rivière Tambopata. Puerto Maldonado se situe dans la forêt amazonienne à l’ouest de la frontière entre le Pérou et la Bolivie,

Au 20e mois de la présidence de Dina Boluarte, notre partenaire, la Commission épiscopale d’action sociale (CEAS), a appelé l’élite économique du pays à renoncer à ses attitudes égoïstes et à travailler pour le bien commun.  

« Nous ne pouvons plus appeler le Pérou une nation démocratique où la dignité humaine est respectée », déclare la CEAS dans un communiqué du 8 juillet.  L’ingérence du Congrès dans le système juridique du pays et l’approbation de lois qui favorisent l’impunité des militaires et des policiers responsables de graves violations des droits humains dans le passé sont citées, tout comme les politiques qui permettent la prolifération du commerce illégal et la déforestation progressive de la région amazonienne, un régulateur essentiel du climat mondial.   

La population de cette région n’est pas mieux desservie avec le gouvernement actuel qui a remplacé celui de Pedro Castillo, destitué par le Congrès en décembre 2022. La CEAS décrie la manière dont sont perçus les peuples autochtones de l’Amazonie c’est à dire comme un obstacle au développement. Elle souligne également le manque d’intérêt du gouvernement pour résoudre les problèmes sociaux qui les touchent, illustré par le rejet récent d’une série de viols de filles de la nation Awajun, qualifiés de « pratiques culturelles ».

Malgré les défis, des signes d’espoir émergent : la Cour interaméricaine des droits humains a récemment tenu l’État péruvien responsable de la santé de la population de La Oroya, touchés par les gaz toxiques d’une fonderie polymétallique américaine. De plus, le Conseil des droits humains de l’ONU exprime des inquiétudes face aux mesures du Congrès qui menacent la démocratie, tandis que le pape François encourage les communautés rurales à protéger leurs territoires contre les activités extractives illégales : « Défendez la terre, ne la laissez pas être volée. »

Le communiqué de notre partenaire est reproduit ci-dessous. Pour lire la version originale en espagnol, cliquez ici.


« L’autorité est un service, et une autorité qui n’est pas un service est une dictature. »[i] pape François

La Commission épiscopale d’action sociale (CEAS) et les équipes de la Pastorale sociale nationale, au début du mois patriotique[ii], s’associant au communiqué du Conseil permanent de la Conférence épiscopale péruvienne (lire le message en espagnol), assumant notre engagement prophétique d’annonce et de dénonciation ; en tant que personnes chrétiennes responsables de la réalité, nous accueillons le cri du peuple, partagé lors de la dernière réunion de la Pastorale sociale nationale : « nous ne pouvons plus appeler le Pérou un pays démocratique, où la dignité du peuple est respectée. »

Nous sommes indigné·e·s par les grandes ombres qui couvrent notre cher pays en raison des intérêts particuliers de groupes et d’individus qui, à la recherche de leur propre intérêt, détruisent la démocratie et les institutions, violent les droits humains, la dignité humaine de notre nation, et ne respectent pas l’État de droit, comme le démontrent diverses actions :

L’enracinement d’une culture de l’illégalité, comme l’ont appelée nos évêques, qui se manifeste par la prise de contrôle de certains organes constitutionnels autonomes du pays, les tentatives de contrôle du Conseil national de la justice, et donc du système d’administration de la justice et des organes électoraux, la loi interdisant la participation politique des mouvements régionaux et l’élimination des élections primaires, de la parité et de l’alternance sur les listes électorales, qui maintiendraient les mêmes intérêts enracinés dans toutes les branches du gouvernement et leurs niveaux élevés de corruption, voire leurs liens avec le crime organisé.

Cette culture de l’illégalité est également évidente dans les lois adoptées par le Congrès qui favorisent l’amnistie pour les militaires et les policiers qui ont commis des crimes contre l’humanité, les grâces illégales envers les personnes condamnées pour les mêmes crimes, la loi qui favorise le crime organisé, la loi qui facilite et formalise les économies illégales, et la déforestation de notre Amazonie en faveur d’intérêts économiques qui exacerberont les changements climatiques, les conflits sociaux, les assassinats de défenseuses et défenseurs des territoires et de notre maison commune, en cherchant à faire disparaître les peuples autochtones, qu’ils considèrent comme un obstacle à un soi-disant « développement ».

De même, la promotion de la modification de la loi de l’Agence péruvienne de coopération internationale (APCI)[iii], liée à la supervision et au contrôle de la coopération internationale, qui vise à contenir, museler et empêcher les opinions, les dénonciations et les actions critiques à l’égard des pouvoirs de l’État cooptés par la corruption.

Le grand désintérêt des autorités et de la classe politique pour les problèmes majeurs du pays est évident dans les déclarations des ministres de l’Éducation et de la femme concernant les viols de jeunes filles du peuple Awajún, qu’ils qualifient de « pratiques culturelles ».

De plus, l’incongruité entre l’augmentation de 29% de la pauvreté au Pérou et l’annonce par l’Institut national de statistique et d’informatique d’une croissance économique de plus de 5% témoigne de l’énorme fossé social qui continue de se creuser. Tout cela est couronné par la suspension récemment annoncée du processus d’adhésion du Pérou à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en raison de l’approbation par le Congrès de la loi modifiant la collaboration effective, qui a été dissimulée par le gouvernement actuel.

Face à ces ombres, certaines lumières émergent et nous donnent l’espoir qu’il est toujours possible, depuis notre espace particulier, de faire quelque chose pour obtenir des changements dans une réalité aussi complexe que celle que nous vivons au Pérou, par exemple :

  • la destitution de la procureur générale responsable du Conseil national de la justice ;
  • l’appel du ministère public à la population à défendre la démocratie ;
  • la condamnation de militaires ayant commis  des violences sexuelles dans le Sud du Pérou près des villes de Manta et Vilca, et ce 30 ans après les faits avec l’aide d’une défense juridique d’ organisations de défense des droits humains ;
  • les membres du ministère public et du pouvoir judiciaire qui agissent indépendamment du pouvoir politique lorsqu’ils rendent leurs décisions ;
  • la sentence de la Cour interaméricaine des droits humains qui rend justice aux personnes affectées par les métaux toxiques provenant des émissions du complexe métallurgique de La Oroya, en reconnaissant la responsabilité de l’État.

Une grande lumière pour la défense des territoires des communautés paysannes et autochtones menacées par les intérêts économiques légaux et illégaux qui les affectent, c’est le soutien que le pape François a apporté à la communauté Catacaos à Piura : « Je sais ce qui vous arrive, défendez la terre, ne la laissez pas être volée. »

Également :

  • la procédure pénale contre les ministres de l’Éducation et de la Femme pour avoir qualifié de pratiques culturelles le viol de jeunes filles Awajún et la déclaration de Mgr. Alfredo Vizcarra, évêque de Jaén, à ce sujet (écouter la vidéo en espagnol) ;
  • la présentation du projet de loi sur le devoir de diligence des entreprises qui doivent respecter les normes internationales en matière de droits humains et d’environnement dans le cadre de leurs activités ;
  • les prises de position d’organismes internationaux tels que le Conseil de l’Europe et la Commission européenne ; et les déclarations d’organismes internationaux, comme celle des 16 ambassades de pays coopérant avec le Pérou (incluant le Canada, lire le texte en espagnol), qui interpellent l’État sur les modifications apportées à la loi APCI sur la supervision et le contrôle de la coopération internationale, et celle du Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits humains (lire le résumé), qui a exprimé sa préoccupation quant aux réglementations adoptées par le Congrès, qui impliquent un pas en arrière pour la démocratie dans le pays.


Le CEAS et les Équipes nationales de pastorale sociale considèrent qu’il est fondamental que les acteurs ayant des intérêts particuliers renoncent à leurs attitudes individualistes et agissent avec justice dans la poursuite du bien commun, car comme le dit le pape François, « Ne volons pas aux nouvelles générations l’espérance d’un avenir meilleur ». En ce sens, la formation sociopolitique des jeunes pour promouvoir une nouvelle génération politique est un défi qu’en tant qu’Église nous considérons fondamental de relever.

Lima, 8 juillet 2024

PASTORALE SOCIALE NATIONALE


[i] Angélus de la solennité des saints Pierre et Paul. Pape François (29-06-2024)

[ii] Jusqu’au 28 juillet, date à laquelle le Pérou célèbre son indépendance de l’Espagne en 1821, le mois de juillet est placé sous le signe du patriotisme, les drapeaux étant hissés sur tous les bâtiments publics.

[iii] Les amendements proposés à la loi n° 27692, qui régit l’Agencia Peruana de Cooperation International (APCI, l’Agence péruvienne de coopération internationale), sont largement considérés comme autoritaires dans les cercles de la société civile.

PARTAGER LA NOUVELLE

Effectuez votre recherche

Restez informé·e

Ne manquez rien sur le travail de nos partenaires internationaux ou sur nos campagnes de sensibilisation et de mobilisation.

Inscrivez-vous dès maintenant à notre infolettre.